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Incunables occitans : les premiers livres imprimés en occitan (XVe siècle)
CIRDOC - Institut occitan de cultura

On désigne par « incunable » - du latin incunabula, « le berceau », « le commencement » - les premiers livres imprimés au cours du XVe siècle. Ces premiers livres, dont le plus célèbre est la Bible latine à quarante-deux lignes que Gutenberg imprima à l'aide de caractères mobiles vers 1450 à Mayence, ne ressemblent pas encore aux livres modernes qui apparaîtront, selon les régions, entre le début et le milieu du XVIe siècle. Les incunables conservent encore beaucoup de caractéristiques des manuscrits reliés (codex) du Moyen Âge, sans page de titre, avec une mise en page compacte, sans chapitre et comportant de nombreuses abréviations. Certains étaient même encore enluminés. Mais la caractéristique la plus  marquante de ces « premiers imprimés » est l'utilisation de caractères gothiques. 
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Bien que l’espace occitan voie dès 1475 l’installation des premiers ateliers d’imprimerie à Albi, puis l'année suivante à Toulouse, c’est sur des presses italiennes, à Turin, que fut fabriqué en 1492 le premier livre imprimé en occitan : Lo Compendion de l’Abaco, œuvre du niçois Francés Pelós.  

L'occitan parmi les langues des incunables

L'Incunabula Short Title Catalogue (ISTC), base de données internationale qui recense plus de 30’000 éditions de livres imprimés antérieurs à 1501, révèle que la langue majoritaire des premiers imprimés est le latin. Vient ensuite l’italien avec près de 2’500 titres et le français avec près de 1800 titres. La péninsule ibérique, qui connaît plus tardivement l’arrivée de l'imprimerie, est représentée par 437 éditions recensées en espagnol (castillan) et 138 en catalan. L’ISTC ne recense pour les langues vernaculaires de France, hormis le français, un incunable en breton, le Catholicon de Jehan Lagadeuc, dictionnaire trilingue breton-français-latin destiné à l'instruction « des petits clercs pauvres de Bretagne ou encore des illettrés en latin ». 
Avec trois éditions connues, le corpus des incunables occitans est très faible au regard du corpus francophone, ou même catalonophone et révèle déjà l’état très dégradé du rapport de force entre l’occitan et le français dans la production et la diffusion écrite des savoirs au sortir du Moyen Âge, au large bénéfice du français. Pour autant, la langue occitane, héritière d’une scripta littéraire, scientifique et administrative importante et prestigieuse au Moyen  Âge, demeure encore, à l'orée de l'époque moderne, une langue d’écriture et de diffusion savante. La plupart des autres langues vernaculaires de l’actuel territoire français, voire de l’Europe occidentale, n’ayant aucune édition ancienne.

Les incunables « occitans »

  • Frances PELLOS, [Compendion de lo abaco] : Complida es la opera, ordenada... per noble Frances Pellos,... Impresso in Thaurino..., per meistro Nicolo Benedeti he meistro Jacobino Suigo de Sancto Germano, nel anno 1492, ad di 28 de septembrio.

C’est assez tardivement, dans les toutes dernières années du XVe siècle, qu'apparaissent les premiers incunables en occitan.

Le premier est Lo Compendion de l'Abaco, œuvre d'un « citoyen niçois » (« citadin es de Nisa », f. 80v), Francés Pellos, et imprimé à Turin en 1492. Ce traité de mathématique est issu du milieu du négoce niçois. L'ouvrage est d’un usage pratique, son but est d'apporter les rudiments mathématiques nécessaires au bon exercice du commerce maritime.
C'est sans doute parce qu'il est à destination du monde du commerce maritime qu'il est rédigé et imprimé dans la langue d'usage des marchands et non en latin, langue de la majorité des incunables.
Lo Compendion de l'Abaco, qui figure parmi les premiers traités de calcul imprimés, témoigne de la place qu'occupe la langue occitane dans les échanges commerciaux dans la région niçoise (Nice est décrite « cap de Terra Nova en Provensa » par l'auteur, f. 80v.) à l'aube de la Renaissance.
Les exemplaires conservés sont assez rares, nous en connaissons 7 référencés dans les catalogues de bibliothèques publiques ou universitaires en France et à l'étranger.

En savoir + sur le Compendion de l'Abaco : voir l'article dans l'Enciclopedia d'Occitanica. 
Les deux autres incunables occitans connus concernent le domaine religieux. 
  • Lucchino (Lucain) Bernezzo, Tratat del Rosari de l’intemerada Verge Maria segunt la determination de diverses Dotors, [Nice, 1493] [perdu, aucun exemplaire connu].
  •  Guy de Roye, Lo Doctrinal de la sapiensa en lo lenguatge de Tholosa [Toulouse : Heinrich Mayer, circa 1494]
Le premier, le Tratat del Rosari de l’intemerada Verge Maria segunt la determination de diverses Dotors, serait l'œuvre du frère dominicain Luchino Bernezzo, imprimé à Nice en 1492 ou 1493.  
L'ouvrage semble définitivement perdu, il est connu par une seule mention du XVIIe siècle.

En savoir + sur le Tratat del Rosari de l'intemerada Verge Maria : voir l'article dans l'Enciclopedia d'Occitanica. 

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Le second, Lo Doctrinal de la sapiensa en lo lenguatge de Tholosa, sorti des presses toulousaines d’Henri Mayer en 1494, est une traduction occitane du Doctrinal de sapience ou Doctrinal aux simples gens, œuvre d’explication de la doctrine chrétienne rédigée au milieu du XIVe siècle, et attribuée à Guy de Roye.
Le choix linguistique s’explique ici par la fonction didactique du livre, qui est à destination des prêtres ou des lecteurs ne lisant ni le latin, ni le français.
Lo Doctrinal de sapiensa connaît une seconde édition, toujours  à Toulouse, par l’imprimeur Jean Grandjean (1460-1519), une autre en 1504. Ce dernier, considéré comme le premier imprimeur toulousain, s’installa rue de la Porterie et avait racheté en 1494 l’atelier de Henri Mayer, d’origine allemande.
Cet incunable est à rapprocher du corpus des impressions religieuses toulousaines en occitan du début du XVIe siècle, toutes les traductions de textes à visée didactique. 

En savoir + sur Lo Doctrinal de la sapiensa en lo lenguatge de Tholosa : voir l'article dans l'Enciclopedia d'Occitanica.