Ce 23 avril 2022, le Centre Culturel Occitan Rochegude (Albi) programmait son festival annuel de théâtre occitan amateur. Claude Alranq – auteur de deux ouvrages : Théâtre d’oc contemporain – les arts de jouer du Sud de la France (Editions Domens, 1995) et Répertoire du Théâtre d’oc contemporain (Editions Domens, 1996) était chargé d’ouvrir la rencontre par une causerie sur ce thème.
Mes recherches sur ce que l’on nomme « le Théâtre d’oc » s’en tiennent à la période 1936-1996, bien qu’elles m’aient conduit à creuser bien en amont de cette période. Elles s’interrompent à la fin du XXe siècle, même si j’ai poursuivi jusqu’à aujourd’hui mon métier d’acteur-conteur-auteur-metteur en scène. Il est vrai que ces recherches auraient pu aller au-delà de 1996 si elles avaient rencontré un contexte favorable. Malheureusement ce ne fut pas le cas et c’est pourquoi le propos que je vais tenir mériterait d’être actualisé.*Deux chemins possibles mais le plus souvent un seul acheminé.
Le souci d’une compagnie à la recherche d’une pièce à jouer n’est pas le même que le souci d’un chercheur en quête d’un répertoire caractérisant toute une période de créations. Les uns s’en tiennent surtout à cibler un genre (comique, dramatique…), un sujet attractif, un nombre de personnages possibles (féminins, masculins, de tel ou tel âge…), une scénographie ou un décorum à portée de ses moyens : l’opportunité est immédiate.
Les chercheurs ne sont pas dans l’urgence d’une opportunité mais dans la problématique qui donne un sens à une période précise sur un espace-temps déterminé. L’idéal serait que ces deux démarches communiquent et s’enrichissent, la réalité n’est pas aussi évidente. C’est pourquoi je tiens à préciser ma position : j’avance sur les deux voies et je prends le risque d’insatisfaire les uns comme les autres.
Sur la période citée, mon souci fut de contribuer à éclairer les choix concrets et pertinents qui rendent au théâtre méridional la pleine conscience de sa spécificité et de ses enjeux sans perdre de vue les limites que les moyens conjoncturels imposent. Ce pari agit sur le présent sans négliger les questions qu’il doit adresser à l’histoire et à l’anthropologie des arts vivants de l’ici et de l’ailleurs. Cet exercice peut sembler excessif, néanmoins il est nécessaire si l’on veut donner une dramaturgie à l’action théâtrale projetée.
L’identité du théâtre d’oc.
La langue d’oc semble être le pilier fondamental de ce théâtre. Il y en a d’autres : l’accent méridional, le bilinguisme occitan et français, le sujet traité, les références impliquées, les lieux porteurs, les formes récurrentes… et aussi l’état de la lenga nòstra dans la situation contemporaine. Le théâtre en langue française est constitutionnellement établi, ce n’est pas le cas pour le théâtre de la langue d’oc qui ne jouit pas d’une reconnaissance officielle, donc des avantages considérables associés à cet état de droit : le subventionnement d’État, l’inscription dans un cadre institutionnel assurant la formation, l’édition, la médiatisation, la critique dramatique, les réseaux de diffusion centralisés ou décentralisés, la protection professionnelle (académique, syndicale, francophone)… bref : tout ce qui fonde une culture dite dominante.
Le théâtre d’oc n’échappe pas à la condition dite minoritaire, c’est-à-dire : à tous les avatars linguistiques, sociaux et psychologiques qui pèsent sur une expression non officielle, vouée à toutes sortes de discriminations : la diglossie, la glottophobie, la marginalisation… tout ce qui contribue (consciemment ou inconsciemment) à dévaloriser, minoriser ou complexer les acteurs de ce contexte qualifié de « provincial », « dépassé », « folklorique », « primaire », « bon enfant », « sans avenir »… par les décideurs et maîtres de la communication.
A contrario, le non-statut des expressions « minoritaires » invite à aller voir dans l’histoire et l’anthropologie de leurs origines, de leurs répertoires inachevés et des témoignages méconnus qui révèlent un tout autre intérêt, civilisationnel s’il en est.
« L’angle mort » du champ visuel répertorié.
Ce regard sur le rétroviseur des recherches me fait découvrir 1000 ans de littérature dramatique occitane. Ce regard est indispensable même s’il n’est pas l’objet central de cette causerie. Nous nous y risquons cependant pour retenir quelques particularités qui importent au théâtre d’oc d’aujourd’hui, à sa critique comme à son intérêt. J’en viens à ces particularités non pas pour rivaliser - à coup d’œuvres et d’auteurs - avec le répertoire de langue française, mais pour signaler des déterminismes, desquels on ne peut se libérer qu’au prix d’une conscience claire, capable d’évaluer les deux aspects de la question : les périls et les avantages d’un phénomène qui s’impose à nous parce qu’il est celui d’une ethno-culture minoritaire du domaine national français.
Alors que la raison d’être des arts officiels d’un régime dominant devenait la nouveauté à tout prix, la survivance d’une culture minoritaire reposait sur la notion de tradition. Il a fallu attendre la charte de l’UNESCO (2003-2006) sur les « patrimoines culturels immatériels » pour que ce mot de tradition échappe aux gémonies qui le confondaient avec le mot : conservatisme (conservatisme linguistique, stylistique, sociétal, politique…) Eh bien non ! La tradition évolue.
Sa problématique invite même à différencier le domaine largement culturel et le domaine étroitement artistique, même si l’un ne va pas sans l’autre.
La culture totalise toutes les façons d’être, de penser, de manger, de se vêtir, d’habiter, de vivre et de mourir : elle est un héritage collectif. Les arts ne totalisent que la somme des ateliers particuliers qui influencent la culture commune à partir d’initiatives plus personnelles ou privées. En territoire officiel, les arts voudraient supplanter la culture au point de faire croire qu’ils en sont le moteur. En position de dépendance, les arts minoritaires ont moins d’ambitions : ils gardent une vocation plus collective et s’en tiennent souvent au chantier existentiel de la communauté, à partir de matrices prioritaires plus que d’écoles esthétiques.
Un des rares historiens du théâtre provençal (Étienne Fuzellier – 1965) a repéré les trois matrices qui lui paraissent essentielles dans la tradition méridionale : la sacrée (religieuse ou commémorative), la comique (d’origine farcesque ou licencieuse), la littéraire (à vocation universelle mais souvent en « retard » ). J’ajouterai qu’en matière artistique, la tradition regarde moins aux frontières disciplinaires (théâtre/danse/musique…) que ne le fait la création institutionnelle, publique ou privée. Sa fonction festive ou rituelle ou civique l’invite à faire feu de tout bois pour un bonus privilégiant la transmission et l’initiation intergénérationnelle locale.
Si dans les arts officiels occidentaux , ce sont les écoles esthétiques (classicisme, romantisme, symbolisme…) qui emportent le mouvement créatif, dans les arts minoritaires ce sont plutôt des cycles temporels qui dialectisent l’évolution à la fois esthétique et culturelle de la société ambiante. Des cycles longs de maintenance alternent avec des cycles courts de transgression. Ainsi a-t-on vu dans l’histoire millénaire du théâtre d’oc, trois temps dits transgressifs (lo trobar médiéval, lo baròc renaissantiste e lo felibrenc du milieu du XIXe siècle) subvertissant des temps de maintenance (les XIV-XVe, les XVII-XVIIIe, le XIX-XXe du repli félibréen…).
À noter également que les temps transgresseurs co-habitent avec des événements civilisationnels que l’on pourrait qualifier de mondiaux : l’émancipation courtoise dans l’amour chrétien féodal, la Renaissance impliquant Réforme et Contre-réforme, l’éveil des nationalités européennes et latino-américaines au XIXè siècle. Notons finalement que ces temps courts ou longs des cycles minoritaires témoignent d’une évolution de l’affirmation identitaire qui apparaît diverse, voire contradictoire : « hérétique » (XIIIe) ou « libertine » (XVI-XVIIe) , ou bien se complaire dans « l’ethno-type » induit par le pouvoir dominant (XIXe), ou bien s’ériger en « contre-pouvoir » rouge ou blanc (XIX-XXe), ou bien encore se proclamer « contre-culture » ou « anti-capitales » (XXe) face au centralisme hégémonique.
Cette action de l’histoire et de l’anthropologie importe à l’attention que nous devons porter sur le répertoire du théâtre occitan et sur sa pertinence à tel ou tel moment de sa prise en compte. Tout « minoritaire » soit-il, il entretient avec la culture et les arts officiels des liens réciproquement fondateurs. En ce sens, il participe à la culture nationale. Et à ce titre, il mériterait une place reconnue par la Constitution.
Pour une maîtrise plus raisonnée du choix offert par le répertoire.
Libre à chaque compagnie de piocher dans le labyrinthe. Dans la période 1936-1996, le répertoire est constitué de quelques 250 auteurs et de quelques 1200 œuvres théâtrales occitanes et bilingues (occitan-français). Beaucoup sont manuscrites ou polycopiées, accessibles ou non . Cette précarité est aussi le signe de la réalité dite minoritaire. N’oublions pas qu’une partie de ces oeuvres faillit être emportée par le pourridié quand le CIDO (anté-CIRDOC) ne possédait à Béziers que des locaux humides malgré la bataille que des pionniers – comme Yves Rouquette – livrèrent pour réunir et conserver les premiers fonds. Pour ma part, je n’oublie pas combien fut compliquée la course qui me mena aux quatre coins de la grande Occitanie pour retrouver les dépositaires, auteurs vivants ou héritiers des pièces recherchées et menacées de disparition.
Entrons dans la période contemporaine. Elle vérifie la série cyclique précédemment décrite. Après la maintenance que le félibrige assume sur la fin du XIXe et le début du XXe siècle, le réveil occitaniste précipite deux temps courts transgresseurs : celui autour de la seconde guerre mondiale qui revendique contre le populisme félibréen une graphie et une tenue littéraire de qualité universelle (« la fe sens òbra mòrta es ») et la génération 1968 qui radicalise ce réveil (« per salvar la lenga, cal salvar lo pais »). Avec les années 1990 se redéploie un temps long, mainteneur (nous y sommes encore) : celui d’une mondialisation dénoncée mais pas suffisamment combattue. Le théâtre d’oc (amateur comme professionnel) ne se donne plus les moyens d’une solidarité d’action et de réflexion collectives. Il n’empêche que le répertoire de cette période témoigne d’une belle variété d’expressions.
Considérons à présent l’ensemble contemporain sous l’effet des deux impulsions transgressives et de son retour à la maintenance. Sans perdre de vue les trois matrices proposées par Fuzellier :
Pour un observatoire des possibles :
Après l’espérance des années 1970, le jeune théâtre d’oc qui parvient à se professionnaliser ( sept à huit troupes) doit affronter des contraintes qui le réduisent à quatre troupes professionnelles (Théâtre de la Rampe-TIO, Centre Dramatique Occitan de Provence, Théâtre des Carmes et Compagnie Gargamela) durant les années 1990. Cependant son intérêt suscite des recompositions et des reconversions sur les voies que sa pratique a désignées comme possibles. Les vocations suscitées peuvent difficilement se professionnaliser sauf sur des projets qui recoupent précisément ces nouvelles pistes. Nombre d’initiatives sont alors portées par un théâtre que l’on nommerait amateur s’il n’avait été dynamisé par des professionnels ou des gens d’expérience. Confrontons leurs initiatives aux trois paradigmes notés par Fuzellier. Ce type de repérage contribue encore une fois à discerner les évolutions qui animent ce cycle de la maintenance (ou de la résistance) contemporaine.
Le sacré : Il maintient la longue tradition des pastorales provençales mais, sous la plume des Roger Pasturel, Pierre Pessemesse, Yves Garric, Claude Alranq…, elle ne cesse de s’actualiser en replantant, dans la sacralité, la mythologie méditerranéenne et les enjeux des questions environnementales.
Ledit sacré s’enrichit également de l’évolution du théâtre historique qui inspira la génération 1936 puis la génération 1968 en faisant entrer « l’autre histoire » (la minorisée) dans la dramaturgie contemporaine. Ainsi la question « identitaire » apparaît dans le champ traditionnellement réservé au religieux. Loin de renier la valeur du « sacré », l’idéal laïque et communaliste que « l’autre histoire » contient, renouvelle sa portée spirituelle. Le théâtre occitan apparaît alors à l’avant-garde des nombreuses initiatives (son et lumières, visites théâtralisées, reconstitutions historiques) qui créent - dès les années 1990 - un véritable engouement des publics pour les commémorations festives autour d’un site, d’un événement, d’un métier ou d’un grand personnage. Tous les auteurs occitans de cette période collaborent à ce phénomène (Yves Rouquette, Jean Larzac, Anne Clément, André Neyton, André Benedetto, Guy Vassal, Marceau Esquieu, Jan dau Melhau, Raoul Nathiez, Christian Pastre, Jean-Claude Audemar, Yves Garric, Roger Pasturel, Patrick Pezins, Michel Cordes, Jean-Louis Roqueplan…)
Le succès populaire est tel que les politiques locaux découvrent ce qu’ils nomment « le marché du tourisme culturel » que les lobbies du multi-media (d’une part) et des projets localistes (d’autre part) s’empressent d’occuper au détriment de sa véracité historique et ethno-culturelle. Les auteurs occitans en course sur ce terrain doivent réinventer des formes plus interactives avec le présent (Claude Alranq-Théâtre la Rampe-TIO) ou avec les variétés (Bernard Cauhapé-Comedia dell’Oc) ou avec des festivités « communalistes » ( Jean-Louis Roqueplan-Teatre de l’Alauda) ou avec la poésie narrative (Michèle Stenta…) pour maintenir un fondement d’authenticité ou de parodisation qui sauve le clin d’œil de l’histoire ou de l’esprit.
Plus récemment encore - et avant même que les institutions ne parlent de « patrimoine culturel immatériel » - entrent dans cette sacralité les fêtes saisonnières traditionnelles (Sant Blasi-Carnaval, Sant Joan d’estiu, Martror, Nadal ) que Théâtre des Origines, Saboï, Teatre Baug…plongent dans leur anthropologie pour retrouver leur sens , leur santé et leurs dimensions participatives et transdisciplinaires. La musique, la danse, les arts plastiques et scénographiques concourent à ces productions avec la participation d’associations locales impliquées dans cette dynamique. Il ne s’agit plus de présence illustrative ou figurative mais d’intégration créatrice (Christian Coulomb, Véro Valéry, Jérôme Dru, Perrine Alranq, Isabelle François, Marie Gaspa, Ania Wisnianka …)
La monina e lo palhassa
Un còp èra, un clown, un palhassa que disèm en cò nòstre. Èra pas un comic de la sanflorada, pasmens sabiá un pauc far rire, un pauc far paur... Ça que la, un brave palhassa al trefons de son còr !
Aviá una monineta. La sonava Mon Còr. Aquela èra mai que polideta, bograment intelligenta e bograment coquinassa a l'encòp. Lo palhassa l'aimava plan sa monineta.
Quand fasiá caud, èra Mon Còr qu'anava quèrre d'aiga ; quand fasiá fred, èra Mon Còr qu'alucava lo fuòc. Fin finala, èra pas tant aissabla qu'aquò, la Mon Còr...
Pasmens se rabalava la tissa de las tissas : cada còp que la luna èra redonda dins lo cèl, voliá montar cap a ela, a tota bomba voliá sautar sus ela, plorava, s'encapriciava, bramava qu'èra lo palhassa que la voliá pas daissar anar sus la luna.
Deveniá impossible e lo paure palhassa deveniá malurós, tan malurós que las gents disián :
« Qu'es triste aquel palhassa ! Pas possible, es un patiràs ! »
Lèu-lèu, lo palhassa s'encorissiá en cò de la marchanda de grimaças, monas e reganhons. Ne crompava plen sas pòchas. S'entornava dins son circus, ne cargava una sus son morre, s'escampava sus la pista, palhassava tant e mai que las gents picavan de las mans...
Extrach tirat de : Alranq, Claude, La monina e lo palhassa, I.E.O.-Aude, Quillan, 1996.