Encore une fois tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles comme disait le grand Voltaire que peuchère je n’ai jamais lu son oeuvre.
Peut-être un jour quand je serai retraitée, c’est ce qu’ils disent tous : le jour où...
Quelqu’un frappe à la porte, Maître Bardot :
- Bonjour Jeanne. René n’avait pas de famille et comme vous êtes l’héritière de son bien tout le monde pense que c’est à vous de prendre en charge l’enterrement. Je sais que ce n’est pas simple : il était catholique et cette religion n’aime pas trop les suicidés !
- Je ne pense pas que René était tellement religieux! Je vais aller voir le curé de la paroisse. Il y a certainement dans la tombe de sa femme Rosette une place pour lui.
- Et non ! C’est à la mairie que vous devez aller.
- Je ferai tout ce qu’il faut pour qu’il ait un bon voyage de l’autre côté. Nous n’irons pas au funérarium comme pour l’Oncle Vincent. Et le verre de l’amitié se fera dans son jardin.
- Votre jardin maintenant !
- Par pour longtemps vous pouvez me croire !
- À bientôt Jeanne !
Je n’ai qu’une envie : aller au lit et me réveiller après l’enterrement ! Sûr que je n’ai pas pu le faire pour moi mais je vais le faire pour vous ! Et maintenant que tout est fini comme dans la chanson je peux vous l’assurer : tout s’est bien passé et René et sa femme « requiescant in pace » dans le cimetière communal.
Aujourd’hui c’est samedi et Mathilde arrive lundi 24 Juin à Fréjorgues. Pour le moment elle restera avec moi à la maison jusqu’à l’accouchement. Je n’ai rien dit à personne dans le village. Ce sera la surprise pour tout le monde, surtout le ventre. Heureusement que son homme n’est pas venu avec elle. Mais un jour il faudra bien et alors ce sera le scandale au village.
Bon et demain comment allons-nous nous retrouver ? Pour moi la rancune s’il y en a eu n’existe plus. Tant de choses ont changé dans ma vie depuis le mois d’octobre ! Peut-être que je suis une autre femme : plus jeune ou peut-être plus vieille...
Ce matin je suis allée à Béziers et j’ai acheté des rideaux pour la chambre de Mathilde : avec des fleurs jaunes et rouges et des oiseaux verts et bleus, le printemps et l’été sont entrés ensembles plein de joie dans la maison pour la Saint Jean ! Avec la machine ça a été vite fait : Hôtel 4 étoiles ! Et maintenant j’essaie de me souvenir ce qu'elle aimait le plus manger : la friture de poissons à la catalane, les côtelettes d’agneau, les haricots, la salade verte, le fromage de chèvre... Ça suffit pour commencer : il y aura tout dans le frigo. Cuire sera vite fait.
Maintenant c’est dimanche. Angèle la voisine amoureuse de René est venue me voir pour s’excuser de ce qu’elle m’avait dit.
- Ô Madame Jeanne je sais bien que vous ne l’avez pas tué et de toutes façons je me souviens de ce qu’il vous a fait dans votre jeunesse quand il a fait un enfant à la Rosette. C’est de sa faute si vous êtes restée vieille fille ! Mais vous comprenez maintenant qu’il n’est plus là je suis toute seule ! Ça me fait pleurer. Je lui ai apporté son dîner tous les jours depuis la mort de Rosette. Chaque fois je lui demandais ce qui lui plairait. Je connais les hommes, je suis restée quarante ans avec mon Edmond. Évidemment vous ne pouvez pas savoir parce que vous avez été seule toute votre vie. Ce n’est pas simple pour un homme d’être veuf et c’est pour ça que les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Maintenant ma vie est une friche : plus de René pour discuter du village et des gens !
Je l’ai prise dans mes bras cette petite femme bravette avec son chignon cendré et je l’ai embrassée.
- Vous pouvez venir me voir quand vous voulez, ça me fera plaisir Angèle !
- Eh bé vous êtes bien brave ! Je n’aurais jamais cru qu’un jour ce serait possible de discuter avec vous comme avec une amie ! Je n’oublierai pas de venir Jeanne, avec plaisir !
Demain je dois être à dix heures du matin à Fréjorgues. Le bonheur s’infiltre partout dans mes veines. L’histoire recommence au début : demain nous serons toutes les deux sur la terrasse comme l’année dernière à la même date. Le retour de l’enfant prodigue !
Au lit Madame que demain tout va changer !
Maintenant je suis assise devant la sortie « arrivée » de l’aéroport. Évidemment comme tous ceux qui vivent à la campagne, les paysans, je suis arrivée une heure avant l’heure. Il faut bouger un peu Jeanne, aller boire un café et lire un journal.
Ça me plaît de regarder les voyageurs qui s’en vont on ne sait pas où, peut-être de l’autre côté de la terre. J’ai commencé à lire un article sur les vignes du Languedoc et ils disent que le vin est de mieux en mieux et qu’il y a beaucoup d’américains qui achètent des vignobles dans le pays.
- Jeanne ! Je suis là ! Viens m’aider, les valises sont lourdes !
- Mathilde ! Ma fille ! Si jolie !
Je la prends dans mes bras mais avec le ventre c’est pas simple. Nous nous embrassons sans arrêt tout en criant comme deux enfants :
- Est-ce que je peux t’appeler « maman » ?
- Pourquoi pas ? Ça me ferait plus tôt plaisir à mon âge ! Oh ! Tu as changé la couleur de tes cheveux et tu n’as pas grossi. Sans le ventre tu dois être maigre !
- Et tu as changé de look aussi : tu es plus comme une dame de la ville. Plus de cheveux gris, des jeans de jeune fille, une chemise pleine de couleurs. Mais je t’ai reconnue Madame Jeanne !
- Et moi aussi Mademoiselle Mathilde ! Tu es toujours belle ! Rentrons à la maison !
Nous sommes dans la voiture. Mathilde est tellement heureuse de voir le paysage. Ça a été la même chose pour moi quand je suis revenue il y a deux semaines. Tout semble petit ici mais avec un grand choix de couleurs et on peut voir la campagne et surtout les vignes de chaque côté de la route. Dans l’autre pays il n’y a que des autoroutes avec des arbres gigantesques et gris de chaque côté qui cachent le paysage. Mathilde est heureuse des couleurs de sa chambre et elle n’arrête pas de dire : cool ! so cool !
J’ai préparé le dîner sur la terrasse : la friture de poissons avec l’aïoli. Quand Mathilde revient elle s’est changée : une chemise longue, légère et claire que je n’avais jamais vue.
- Où as-tu trouvé cette robe ?
- C’est Fred qui me l’a achetée quand il est allé voir sa mère pour Noël à Montego Bay.
- C’est où ?
- Une ville de son pays la Jamaïque.
- Tu as une photo de Fred ?
- Non. Mais je pense que je ne veux plus le voir. À chacun sa route !
- Je croyais que c’était le père de ton enfant ?
- L’un n’empêche pas l’autre ! Mais si je suis revenue ici c’est que l’histoire était finie ! Cette vie ne me plaisait plus. Sûr que c’est un bel homme, intelligent et tout et tout. Mais le monde de la musique quand on n’est pas musicien ce n’est pas pour moi. Dans la vie je ne veux pas être derrière et je veux décider quel chemin suivre.
- Et ton enfant n’aura pas de père !
- Il aura la couleur de sa peau et quand il sera grand s’il veut il pourra aller rendre visite à son père à New York ou à Montego Bay. Et peut-être que je trouverai un autre père pour lui, qui sait ? Et Rémy ?
- Il sera ici la semaine prochaine. Il est retraité et si tout se passe bien nous allons vivre ensemble ici et ailleurs...
- Est-ce que j’aurais la chance de rester ici quand vous serez ailleurs ?
- Pour le moment c’est la fête de la Saint Jean et une fête que je n’ai jamais vue : le Total Festum. Tu vas aller te reposer et on ira danser.
Quelqu’un tape à la porte en criant :
- Jeanne, Jeanne !
Sur l’escalier de l’entrée de la maison maigre, vieille et toute en pleurs la voisine de René, l’Angèle :
- Jeanne au secours ! René s’est pendu dans son garage et si je viens te voir c’est qu’il a laissé une lettre.
- Et alors ? C’est terrible mais je n’y peux rien, il est venu hier et je l’ai fichu à la porte. Je ne voulais plus entendre les histoires sur notre jeunesse qui m’ont fait tant mal.
- Lis cette lettre !
- Si tu veux mais maintenant c’est un peu tard pour faire quelque chose.
À mon village tant aimé,
Toute ma vie depuis l’école primaire j’ai été amoureux de Jeanne. Sûr que je l’ai abandonnée pour la Rosetta à 20 ans. Mais aujourd’hui la Rosetta est partie et je pensais que le rêve pouvait devenir réalité... Je viens d’apprendre qu’elle est amoureuse et qu’elle va se marier avec un américain. Donc je ne veux plus continuer à vivre. Quand les rêves sont morts il n’y a plus de raison de vivre.
Adieu à vous tous votre ami René le malheureux.
- Encore une fois je ne peux rien faire, ce n’est pas de ma faute. Il est venu me voir hier et il était furieux.
- Tout le monde va dire que c’est de ta faute !
Et l’Angèle furieuse s’en va. Huit heures du soir. Temps de téléphoner à Rémy.
- Allo ! Rémy !
- Comment vas-tu amour de ma vie ?
- Je n’ai pas trop le temps de parler. Mathilde m’a appelée. Mathilde est enceinte et veut venir faire son petit chez moi. Le problème c’est qu’elle n’a pas un sou pour payer le billet d’avion. Est-ce que tu peux lui envoyer l’argent ou mieux prendre le billet et le lui envoyer à Philadelphie ou par internet ? L’adresse : Mathilde Delbas chez Fred Tiafran 23 45 Hillwiew Avenue Philadelphia. Et le téléphone: 410 587 90 87.
- Je vais le faire. Ne te fais pas de souci. Mais est-ce que tu es sûre de ce que tu fais ? Tu n’as jamais eu d’enfant et tout d’un coup tu vas te retrouver mère et grand-mère, ce n’est pas simple.
- Mais tu seras avec moi et je ne serais plus seule. Tu m’aideras. Et en plus le père du petit est noir, chanteur ou musicien, je n’ai pas compris. Je t’appelle bientôt. Et d’un autre côté il y a des problèmes au village. Je te raconterai tout ça la prochaine fois. Adieu et bises mon Rémy !
- Adieu ma belle !
Tout va bien. C’est bon de ne plus être toute seule. Et encore le téléphone. Qui peut appeler maintenant ?
- Mademoiselle Belcaire ?
- Oui c’est elle ! Que voulez-vous ?
- Ici la gendarmerie du village. Je sais qu’il est tard mais nous voudrions vous voir. Monsieur René Delrieu s’est pendu et a laissé une lettre qui parle de vous. Et en plus une voisine Madame Soulages a entendu une dispute entre vous, hier à deux heures.
- Et que puis-je faire ? Ce n’est pas moi qui l’ai pendu !
- Madame, si vous voulez nous pouvons venir vous voir chez vous.
- Demain matin ?
- Non maintenant. Avant de donner le permis d’inhumer il serait bon de parler avec la dernière personne qui l’a vu.
- Eh bien je vous attends !
Mais avant il me faut manger un petit bout et surtout boire un petit coup de vin. Un peu de jambon, de fromage avec une tranche de pain et une pomme reinette du Vigan. Ils sont déjà là avec la voiture de police.
Je commence à me demander si j’ai bien fait de revenir au village. Evidemment la mort de René n’est pas un plaisir pour moi. J’ouvre la porte. Une femme et un homme entrent. La femme je l’ai déjà vue : Madame Blanquet. L’autre, l’homme je ne l’ai jamais vu.
- Est-ce que nous pouvons nous asseoir ?
- Je vous en prie. Venez par ici sur la terrasse.
Ils se mettent chacun dans un fauteuil de jardin. Je vais chercher de l’eau et des verres à la cuisine.
- Vous avez une jolie maison Mademoiselle Belcaire ! Ne vous faîtes pas de souci nous aurons vite fait. Ce n’est que de la routine.
Je leur raconte notre histoire avec René depuis le début jusqu’à notre dispute d’hier sur le devant de la maison. Ils écrivent tout ce que je dis et s'en vont.
Je suis allée me coucher et j’ai dormi toute la nuit sans me réveiller. Aujourd’hui est un autre jour. Hier c’est le passé.
Bonjour tout le monde, adieu les souvenirs. Ma vie commence maintenant ! Le soleil brille sur mon toit tout neuf !
Donc il me faut appeler Mathilde. Je dois attendre six heures. Midi de l’autre côté. Peut-être que le matin elle a besoin de dormir un peu si elle est enceinte. Je ne veux pas décider avant ce que je vais faire avec elle.
De toute façon j’ai du travail dans la maison : il faut vider les valises. Surtout téléphoner au notaire pour savoir ce qui s’est passé avec le toit.
- Maître Bardot ?
- Bonjour. Madame?
- Jeanne Belcaire. Vous ne me reconnaissez pas? Quand même je ne pense pas que j’ai pris l’accent américain!
- Excusez-moi ! Sûr que je savais que vous étiez revenue : tout le village le sait : « l’américaine est revenue sans sa filleule! »
- Merci pour tout votre travail : le toit, les papiers, les impôts. Je voudrais savoir ce qui s’est passé avec le toit.
- Il y a eu un gros orage et le dessus du toit de votre maison s’est retrouvé dans le jardin. Mon maçon a bien travaillé. Il a changé les tuiles et tout réparé. Il a nettoyé votre jardin et j’ai tout payé.
- Donc je vous dois de l’argent. Quand vous voulez je peux venir au bureau.
- Il y a aussi d’autres choses dont nous devons discuter ensemble : qu’allez-vous faire de la maison de votre oncle et de ses vignes ? 20 hectares c’est beaucoup de terres dans un pays de bon vin ! Le Sud de France est de plus en plus connu. Peut-être que j’ai trouvé quelque chose qui serait bien pour vous et le village. Nous en parlerons tous les deux. Quand pourriez-vous venir ?
- Je voudrais attendre un peu. Il y a tant de choses à venir dans les jours qui arrivent ! Je vous appellerai en fin de semaine.
- N’attendez pas trop : on ne sait jamais… A bientôt Jeanne !
- Au revoir Maître Bardot !
Et maintenant un petit thé à l’orange, celui qu’aime mon homme américain si lointain ! Quel plaisir d’être sur la terrasse sur une chaise de jardin en toile rouge sous le soleil pas encore trop chaud ! Avec un petit brin de vent qui court dans les arbres du jardin : le chêne toujours vert été comme hiver et le pin aussi.
Ce n’est pas l’heure d’appeler Rémy qui doit toujours être à l’université. Tout d’un coup je me réveille : le « jet lag », le décalage horaire ! J’ai dormi deux heures !
Je vais chercher le téléphone, le numéro, j’ai peur. Il faut que je sache que maintenant ma vie est avec Rémy. De toutes façons il faut choisir : Mathilde ne sera jamais ma fille mais demain Rémy sera mon mari !
- Allo ! Mathilde ?
- Jeanne ! Quelle merveille d’entendre ta voix ! Comment vas-tu ? Ça fait longtemps que tu es retournée au village ?
- Et toi Mathilde, qu’est-ce que tu fais? Tu dois tout me dire car je me fais du souci. Qu’as-tu fait pendant tout ce temps ?
- Si tu veux tout savoir : je suis heureuse mais toujours perdue. Encore une fois je ne sais plus où j’en suis.
- Mais qui est le père de ce petit que tu attends ?
- C’est compliqué. Peut-être que c’est mieux d’attendre de se voir pour te raconter l’histoire. Est-ce que je peux venir chez toi ?
- Qui est le père de l’enfant ?
- Un musicien.
- De musique classique ?
- Non : de jazz africain si tu veux tout savoir ! Noir ! Fred Tiafran.
- Et tu veux venir avec lui au village ? Je ne sais pas si tu le sais mais au village pour les dernières élections la droite/droite et la gauche étaient à 49/51% !
- Et alors ?
- Je pense que ce serait mieux que tu viennes toute seule.
- Ça tombe bien : il a du travail et ne peut pas venir. Mais moi je veux venir.
- Et quand l’enfant arrivera sûr qu’il ne sera pas blanc !
- Jeanne, tu me déçois. Je te croyais plus ouverte au monde moderne ! Tu le sais bien que la terre est de plus en plus petite.
- Moi je le sais mais dans le village ils ne le savent pas encore. Donc si tu venais seule tout serait bien. Quand est-ce que tu arrives ?
- Il y a un problème : je n’ai pas un sou pour acheter le billet d’avion.
- Et ton homme il n’a pas d’argent pour toi, la mère de son enfant ?
- Un jour peut-être quand il sera connu comme musicien. Mais on n’y est pas encore. Dans ce pays les artistes n’ont pas d’aide pour vivre. Pas « d’intermittent du spectacle » !
- Donc où est-ce que je dois envoyer l’argent pour le billet ?
- Sur la banque de Fred, un virement.
- Je pense que le mieux est de demander à Rémy qu’il prenne ton billet pour te l’envoyer. Donne-moi ton adresse. Je viendrai te chercher à Montpellier.
- Alors : Mathilde Delbas chez Fred Tiafran 23 45 Hillview Avenue. Philadelphia US.
- Trop compliqué ! Je demanderai à Rémy de t’appeler demain matin. A bientôt.
- Bises !
- Dis-moi c’est un garçon ou une fille ?
- Je n’ai pas voulu savoir : on découvrira ensemble ! Ciao !
Peut-être que je suis trop vieille mais je n’ai pas pu dire non ! Temps d’appeler Rémy….
Je prends l’enveloppe, le tampon est américain. Je pose la lettre sur la table du salon.
Pour commencer il faut que j’ouvre les fenêtres, les volets pour laisser entrer l’air du mois de Juin dans la maison. Je fais le tour de la maison, ça ne sent pas la rose après un an de fermeture.
Il est midi. Je sors pour aller acheter quelque chose à manger. Quand j’entre dans l’épicerie c’est la révolution :
- Jeanne tu es rentrée ? Tout le monde croyait que t’étais envolée pour ne plus jamais revenir ! Mais que tu es belle ! Elégante ! Où as-tu trouvé ces jeans ? Et ce tee-shirt ? Tout le monde a fantasmé : il y en a qui ont dit que tu étais mariée, d’autres que tu avais décidé de vivre en Amérique avec Mathilde... De toutes façons ça nous fait plaisir de te revoir et surtout si jolie ! Sûr que le bonheur est arrivé dans ta vie. Et un jour il faudra nous dire la vérité ! Et la petite, je ne sais plus comment elle s’appelle, qu’est-ce que tu en as fait ? Tu l’as vendue ?
- Elle arrivera bientôt. Moi aussi je suis heureuse d’être rentrée et de vous voir. J’ai faim donc je voudrais...
- Est-ce qu’ils mangent comme nous de l’autre côté?
- Pas toujours. Donc du pain, du jambon, de la salade...
Mon panier plein je rentre à la maison. Ce n’est pas très agréable de manger tout seule quand on n’y est plus habituée. Le téléphone sonne :
- Allo Jeanne, comment vas-tu ? Et le toit il n’est pas au milieu du jardin ?
- Et toi Rémy que fais-tu? J’espère que tu es malheureux tout seul dans ta belle maison sans ta Jeanne!
- Et toi est-ce que tu es malheureuse sans ton Rémy?
- Je ne sais pas encore, je viens d’arriver et je vais manger un peu. Les gens sont heureux de me voir.
- Bon c’est l’heure de partir à l’université car j’ai du travail ! Sept heures. Je t‘appellerai quand tu auras mangé. Bises !
- Bises !
Je rentre dans la cuisine, rien n’a changé... Le temps de brancher l’électricité, d’allumer le frigo. Ensuite je mange, je trouve une bouteille de vin, je bois un coup. C’est bon le vin pour ma tête et surtout mon cœur pour chasser le « blues ».
Et maintenant la lettre avec le café. Je savais bien qu’elle m’écrirait un jour. Mais je ne suis pas sûre que ce soit le bon moment.
Quelqu’un frappe à la porte. C’est le René, l’amoureux de mes 20 ans qui m’a laissée pour une autre. Il a un bouquet de roses rouges dans la main.
- Bonjour ma belle américaine ! On m’a dit que tu étais revenue au village. Je croyais ne plus jamais te revoir.
Il me donne les fleurs.
- Ces fleurs pour te dire tout mon amour, à toi qui resteras toujours la fleur de ma jeunesse !
- Entre René. Tu veux du café ?
- Avec plaisir !
- Assieds-toi. Je vais le réchauffer.
- Est-ce qu’on t’a dit la nouvelle?
Je ne réponds pas. Maintenant je sers le café.
- Alors on ne t’a rien dit?
Silence.
- Maintenant tu sais je suis riche. Ma tante est morte et m’a tout laissé. Comme pour toi avec ton oncle Vincent. Trop d’argent pour un homme tout seul. Alors si tu voulais, on pourrait vivre ensemble. Avec Rosetta nous n’avons pas eu d’enfant.
- René, l’an dernier je te l’ai déjà dit : toi et moi ça fait 40 ans que c’est fini. Tu ne te souviens plus de ce que tu m’as fait à 20 ans ? Et maintenant en plus je suis fiancée. Bientôt il y aura un mariage au village. Tu seras invité. Et maintenant j’ai des choses à faire et je suis fatiguée. Bois ton café et dehors !
René se lève et commence à pleurer.
- Je t’ai aimé toute ma vie. Quand la Rosetta était malade chaque matin je priais pour la voir partir au cimetière. Pour vivre avec toi ! Les femmes vous êtes toutes les mêmes : vous ne comprenez rien à l’amour. Est-ce que tu te souviens que quand tu n’avais pas un sou je t’ai prêté 1000 francs pour enterrer ta mère ?
- Sors de chez moi ! Je ne veux plus parler du passé et ce qui est fait est fait !
J’ai ouvert la porte, j’ai jeté les roses au milieu de la rue.
- Ton chien, le petit Poubelle, c’est moi qui l’ai tué. Adieu la vieille fille !
Eh bien ! joli retour ! Et maintenant la lettre de Mathilde :
Ma chère Jeanne,
J’ai rêvé de toi chaque jour depuis neuf mois : je savais bien que j’avais été méchante de m’en aller sans te dire au revoir. Après tout l’amour que tu m’avais donné! J’ai besoin de toi. Dans deux mois le petit arrive et je ne veux pas le faire dans ce pays. J’ai peur ! Et quand je pense à ma mère et à la grand- mère de mon enfant c’est toi que je vois. Est-ce que je peux venir chez toi pour accoucher ? Fred mon homme viendra me rejoindre dans deux mois. Maintenant il ne peut pas. Appelle moi quand tu pourras. Ne me laisse pas seule. Je t’aime.
Ta fille Mathilde.
En PS il y a le numéro: 410 687 90 87.De toute façon je n’ai pas le choix : il me faut appeler !
Texte de l'épisode 10 :
La nuit fut courte et le réveil plus que difficile avec le décalage horaire. La pauvre Jeanne buvait son thé sans savoir où elle était : heureusement elle voyait de l'autre côté de la rue,dans le jardin où se promenaient les écureuils, un drapeau planté qui n'était pas un drapeaufrançais, ni un drapeau occitan mais celui du plus grand pays du monde occidental, les Etats-Unis d'Amérique.
- « Bon dieu, c'est étrange, est-ce qu'ici ils plantent les drapeaux dans les jardins parce qu'ils font des fruits ? »
- « Non, c'est un moyen de dire de quel côté on est : les républicains avec le drapeau US ont une pancarte où on peut lire « Support our troups » et, si tu regarde dans l'autre jardin, tu peux voir qu'ils sont démocrates parce qu'ils ont une pancarte où il y a écrit : « War is not an answer », « Obama president ».
- « Comme ça chacun sait ce que vote vote son voisin ! C'est plus simple, pas d'embrouille ! »
- « Jeanne, nous aurons le temps de discuter dans la voiture, va t'habiller. Dépêche-toi. Je commence à 11 heures : c'est une leçon sur la trobairitz La comtessa de Dia ».
On était encore dans la chaleur de l'été, j'avais mis une robe jaune et rouge. on partit et je me retournai : Mathilde avait mis sa tête à la fenêtre, mais je ne pense pas qu'elle me voyait.
Elle semblait être ailleurs. C'était la première fois que je la laissais pour une journée entière. Je lui avais laissé 100 dollars, si elle voulait s'acheter quelque chose, on ne sait jamais !
Rémy était heureux ; il sifflait le « Se Canta ».
- « Madame est vêtue comme un drapeau occitan, pour un cours de langue romane c'est une bonne idée : ça fait folklorique. Il y en a qui ont le drapeau dans le jardin et d'autres qui le mettent sur eux ! »
- « Toi, tu es habillé comme un professeur : à chacun son métier. »
Rémy me prit la main :
- « Ça me fait plaisir d'être avec toi! »
- « Moi aussi mais je suis inquiète d'avoir laissé Mathilde seule ! »
- « Mathilde est majeure, elle peut vivre sans une mère à ses côtés. »
Nous étions sur une autoroute, puis nous avons tourné vers UMBC c'est à dire : University of Maryland Baltimore County. Une université publique.
Moi qui avais passé toute ma vie dans la poste de mon village, je me sentais comme une enfant à côté de ces grands buildings avec des étudiants qui courraient partout, de toutes les couleurs et surtout qui ne parlaient que l'anglais. Pas tous : j'entendais parler espagnol aussi. A chaque fois que Rémy rencontrait quelqu'un qu'il connaissait il me présentait : « Jeanne Belcaire, une amie d'enfance venue du midi de la France et qui parle la langue occitane que j'enseigne dans mes cours. »
Je ne comprenais pas tout mais j'essayais de faire celle qui... en faisant beaucoup de sourires et de Hello !
Peut-être que dans peu de temps j'oserai dire : How are you ?
Nous étions enfin arrivés dans la classe où les étudiants de Rémy nous attendaient.
- « Today we will leave la Contessa de Dia and speak occitan. Jeanne does not understand a word of English. She came especially from her country to meet you and as you are all very polite you must talk with her. »
Tout le monde commença à rire. C'était trop difficile pour eux de maîtriser la langue occitane. Donc Rémy fit les traductions de l'anglais à l'occitan et de l'occitan à l'anglais. Mais il y en avait qui essayaient de me comprendre et disaient que c'était plus simple que le français parce que c'était proche de l'espagnol.
Les questions tournaient autour de la langue, du vin, des taureaux :
-« Do people still speak occitan in the street ? »
-« Do you drink wine every day ? »
- « Do you like to see bullfights ? »
Puis Rémy me demanda de chanter une chanson : je choisis la chansin de Claire d'Anduze « en greu esmai ». Peut-être qu'une chanson de « Moussu T e lei Jovents » comme « Lo gabian » aurait été plus belle pour ces jeunes, mais je ne connaissais pas les paroles.
Après le repas il y avait encore un cours.
Je me régalais : Mathilde était loin. J'étais tellement heureuse d'être avec tous ces jeunes et Rémy semblait se régaler aussi.
En rentrant à la maison il me dit :
- « C'est la première fois que je fais ça et c'est un plaisir. Dommage que la retraite est si proche.... nous aurions pu faire tant de choses ensemble ».
- « Quand t'arrêtera-tu ? »
- « L'année prochaine et je ne sais pas ce que je vais faire... Allons au supermarché près de la maison : Giant. »
- « Je veux du poisson, de la salade verte, du roquefort et du sorbet. C'est moi qui régale aujourd'hui ! »
- « Ma Dame, c'est comme vous voulez ! »
Quand je payais avec la carte Visa la caissière me demanda :
- « Cash ? »
- « Que veut-elle dire ? »
- « Le supermarché est comme une banque. Si tu veux cette dame peut te donner de l'argent. »
- « No, thank you ! »
- « Hourra ! Tu commence à parler ! »
Nous arrivâmes à la maison, c'était le soir mais la maison était complètement obscure, pas une lumière.
- « Que se passe-t'il, Mathilde n'est pas rentrée ? »
- « Ne te fais pas de mauvais sang : elle est allée se promener, s'il s'était passé quoi que ce soit elle m'aurait appelé sur mon portable ! »
Rémy ouvrit la porte d'entrée, nous avons porté les courses dans la cuisine. Sur la table il y avait une lettre.
Je commençai à frissonner : la tête de Mathilde à la fenêtre ce matin si lointaine !
Je m'assis, maintenant c'était le moment de lire :
« Jeanne,
Je sais que tu pleureras ce soir, mais tu ne seras pas seule : Rémy sera à côté de toi. Merci pour tout. Je n'ai pas voulu te le dire mais j'ai rencontré un amoureux par Internet, et il est venu me chercher depuis Philadelphie. Si tout se passe bien avec lui je te rapellerai et quand nous viendrons en France ce sera chez toi. Je veux être libre de choisir ma vie et être indépendante. Il y avait trop d'amour entre nous : tout l'amour que tu n'as pas eu dans ta vie sans mari et sans enfant, tout l'amour que je n'ai jamais eu avec ma famille. Ça me faisait peur.
Adieu et peut être à un jour, je ne sais pas quand.
Ta fille qui t'aime
Mathilde
P.S. : Merci à Rémy pour son hospitalité »
C'était la fin d'un rêve. Tout tournait autour de moi.
Je pleurai et nous avons parlé toute la nuit avec Rémy : quand on est vieux, un avenir est-il possible ? Quand on est jeune peut-on être heureux tout seul ?
Et maintenant que faire : rester, rentrer à la maison... ou changer complètement de vie ?
FIN
Texte de l'épisode 9 :
Après l'autoroute, nous sommes entrés dans la ville. Rémy était heureux de faire le guide. Pour commencer le quartier de la mer avec le gigantesque aquarium.
Baltimore au bord de la baie du Cheasepeake, est un peu le pendant de Marseille sur le bord de la mer Méditerranée : deux villes qui étaient à une époque deux grands ports.
Évidemment, il y en a une avec ses gratte-ciels américains qui est plus grande que l'autre avec la Bonne Mère. En se promenant sur l'ancien port de Baltimore Fellspoint, on pense au vieux port de Marseille ! Mais ici pas de bouillabaisse : que des crabes : c'est l'animal totémique de la ville !
Nous avons fait un petit tour dans le centre ville avec ses très grandes avenues et les sirènes des voitures de police qui n'arrêtaient pas de hurler. Et Rémy dit :
« J'ai besoin d'aller dans une épicerie italienne si je veux vous faire un peu de bonne cuisine. On y trouvera tout ce qu'il faut. »
« Mais c'est trop tard ! Les boutiques doivent être fermées, il est onze heures du soir ! »
« Tu n'es plus en France, petite, ici tu peux trouver tout ce que tu veux quand tu le veux ! »
« The new world ! »
Nous avons garé la voiture et sommes entrés dans la « Sicilienne ».
Mathilde était ébahie de voir tout ce qu'il y avait sur les rayonnages de la boutique : olives, tomates, huile d'olive, pâtes, parmesan, comme dans un village de Toscane.
Tout d'un coup Rémy cria :
« Attention ! Tout le monde au fond de la boutique».Un bruit de fusillade dans la rue où il n'y avait plus de voitures. On entendit des cris, une balle transperça la vitrine, on vit deux hommes qui courraient. Dans la boutique pas un mot. Puis le silence dehors et pour finir la sirène des voitures de police.
Mathilde pleurait :
« Mais que se passe-t-il ? C'est la première fois de ma vie que j'ai aussi peur. C'est un mauvais rêve : je veux rentrer à Montpellier. Jeanne partons ! Ce new world ne me plaît pas ! »
Elle ressemblait à une enfant et j'avais envie de rire à m'exploser les côtes : c'était mieux qu'au cinéma ! Rémy était sérieux et pas très content de cette aventure. Sa voix était celle d'un professeur :
« Baltimore est une ville où les fusils sont rois : 300 personnes sont tuées chaque année par balles. Ne te fais pas de mauvais sang petite, nous allons à Catonsville, c'est une ville calme. Ça fait trente cinq ans que je vis dans ce pays et c'est la première fois que je me trouve au milieu d'une telle affaire ! »
« Il nous faut terminer les courses ! Mathilde, quand on racontera ça au village, personne ne nous croira ! »
« J'aimerais goûter une pizza américaine ! »
C'était un peu comme un bizutage ! Quelle chance !
Nous sommes arrivés à Catonsville : il était minuit passé.
Une jolie maison avec un étage, au milieu d'un jardin, toute en bois:
« Elle est ancienne, elle a été bâtie en 1920 ».
Nous sommes entrés dans la maison :
« Allez poser vos valises. En haut de l'escalier à droite Mathilde et de l'autre côté Jeanne ! Je commence à préparer le dîner. »
« Je peux prendre une douche ? »
« Bien sûr petite ! Tant que tu veux ! ».
Je montai dans la chambre. Elle était petite mais jolie : un lit, une table, une armoire. Je me sentais timide et un peu nigaude. J'essayai de me faire jolie, pecaire, qu'à mon âge ce n'est pas simple.
Rémy était dans la cuisine : une cuisine américaine moderne qui n'avait rien à voir avec la mienne au village.
Je ne savais pas que faire pour l'aider.
« Je suis heureuse d'être ici, merci de nous recevoir. »
« C'est un plaisir pour moi. Depuis la mort de Lise je me sens seul comme un vieux. Heureusement qu'il y a l'université et les collègues. »
« Est-ce que tu rentreras quand tu seras à la retraite ? »
« Pour quoi faire ? Je ne connais plus personne au pays et je pense que changer de mode de vie doit être difficile à mon âge ! »
« Mais peut-être que tu pourrais venir plus souvent : il y a toujours la maison de ta mère ? »
« C'est ma soeur qui l'a prise pour sa retraite. »
« Maintenant j'ai deux maisons. J'ai fait un bel héritage ! »
« Un héritage ? Comment ? Tu te moques de moi ?! Ta famille n'avait pas un sou ! »
« Mon oncle Vincent m'a tout laissé. C'est pour ça que je suis ici : j'ai de l'argent ! »
« Et cette Mathilde, où l'as tu trouvée ? Jeanne aurait eu une fille sans rien dire à personne ? Tu me feras toujours rire ! »
« Si je te racontais comment ça s'est passé tu me croirais pas ! »
« Essaie, on verra bien ! »
« Le jour de la mort de l'oncle Vincent, quelqu'un a sonné à ma porte et... c'était Mathilde ! Depuis elle est restée avec moi et je suis heureuse. Je n'ai pas pu résister à son sourire et au plaisir d'avoir enfin une fille, mon vieux rêve... »
« Il faudra lui trouver un travail... »
« Non... une école de diététique... je paierai pour elle ! »
« J'ai faim ! Est-ce que nous pouvons manger ? »
« Ne t'en fais pas ma fille, pour commencer nous allons boire un peu de vin de l'Hérault, un Faugères ! Et demain vous viendrez avec moi au cours de langue romane... »
« Vous ferez comme vous voudrez, mais demain, je veux rester seule à la maison pour dormir et découvrir Catonsville. »
« Quelle idée ! Comme tu veux ! Tu es grande et tu sais ce que tu fais ! Mais ça ne me plaît pas trop te laisser seule, même si Catonsville n'est pas Baltimore ! »
« Hourra ! Santé ! ».
Texte de l'épisode 8 :
Nous étions entrés dans l'aéroport de Philadelphie. Nous n'avions plus qu'à attendre les valises. Nous attendions dans une grande salle les bagages qui devaient arriver sur un tapis roulant. Une voix s'écria dans un haut-parleur :
« Ladies and gentlemen welcome to the United States. The FDA, Food and Drugs administration prohibits the importation of fresh food into the country. Our dogs are here to smell your luggage ».
Il ne manquait plus que ça ! Deux chiens allaient d'un sac à l'autre et il y en avait un qui commençait à aboyer devant le sac d'une famille : une femme en uniforme courut et ouvrit le sac : peuchère les gens avaient gardé un sandwich SNCF! Il fut vite jeté dans une poubelle. La famille, le père, la mère et les deux enfants avec un accent de Marseille se serraient les uns contre les autres, honteux et effrayés, peut-être qu'ils avaient peur d'être emprisonnés à Guantanamo !
Je vis arriver ma valise rouge suivie de celle de Mathilde. Chacune prit la sienne et les chiens ne sentirent rien, après avoir fait le tour de la valise ils s'en allèrent : ouf !
Maintenant la douane et tout le tremblement : ils prirent des photographies des mains, des yeux, puis il nous fallut remplir des papiers avec l'adresse de Rémy, le téléphone etc... Heureusement Matilda comprenait tout ce qui était demandé sur les papiers.
« Do you have something to declare ? No fresh food in your luggage ? »
Et les fromages de chèvre ? Tout allait bien : ils avaient échappé au nez du chien !
Il nous fallait aller porte 19B pour prendre l'avion pour Baltimore. Couloirs sans fin, escalators et puis personne qui parlait français ! C'était la musique d'un autre monde !
Dehors c'était la nuit et le voyage était court : 45 minutes, montée/descente.
« Ladies and gentlemen, please fasten your seat belts. We are leaving Philadelphia for Baltimore BWI. »
L'avion était petit, on aurait dit un bus et le café c’était de l'eau. Les voyageurs n'avaient qu'un porte-documents. Peut-être que c'étaient des hommes et des femmes qui travaillaient à Philadelphie et qui rentraient le soir à Baltimore, comme ceux qui travaillent à Montpellier et qui rentrent le soir au village.
« Je commence à en avoir marre. Je suis fatiguée. Ici il est 8 heures. Il doit être 2 heures du matin au village. Nous avons fermé la maison à 6 heures du matin c'est à dire à minuit ici ! »
« Ne t'en fais pas. Rémy nous attendra avec un bon souper ! »
« On m'a dit que dans ce pays les gens ne boivent pas de vin. C'est vrai ? »
« Je ne sais pas mais Rémy, il a toujours aimé boire un coup. Et quand il est venu pour enterrer sa mère la dernière fois que je l'ai vu, ça fait dix ans, il n'a pas bu que de l'eau ! Ça je peux te l'affirmer ! »
« Ce qui m'étonne c'est que dans ce pays il y a plus de peaux noires que de peaux blanches »
« J'ai lu dans Wikipedia sur Internet que Baltimore, durant la guerre de Sécession était une ville sudiste et que maintenant il y a plus de 70% de noirs. »
« Mais c'est une ville démocrate et pas républicaine comme le Sud. »
« Eh bien tant mieux ! C'est comme le midi de la France à une époque ! »
« Tais-toi : il est toujours à gauche ! »
« On verra bien ! »
« Ladies and gentlemen welcome to Baltimore, Maryland. Please stay in your seats until fastenseat belt lights are off. United Airlines hopes you had a pleasant flight and looks forward flying with you again soon. »
Encore des couloirs, des escaliers mécaniques, la salle avec tapis roulant pour récupérer les valises, avec les fromages de chèvre des Cévennes... Une dernière porte, un escalier et en haut, un homme, les cheveux blancs, la peau brune de son père venu de Barcelone pendant «la retirada» en 1936, un peu timide mais avec un sourire généreux et plein de douceur. Tout d'un coup la peur me prit, je ne pouvais plus respirer, il était si agréable et moi je me sentais si vieille et laide à 60 ans comme à 20 ans . Le temps ne fait rien à l'affaire !
Il descendit l'escalier :
«La valise est trop lourde Jeanne ? Le voyage est un peu long peut-être quand on n’a pas l'habitude. Tu n'es pas malade au moins ? La grippe H1N1 n'est pas venue avec toi jusqu'à Baltimore ? «
Puis il me prit dans ses bras et me serra fort, ma peur s'en alla :
« Tu as eu une bonne idée de venir. Où es ta filleule ? »
« Ici ! »
Il l’embrassa. Nous étions tous trois au milieu de la salle d'attente de l'aéroport et j'étais tellement heureuse! Je ne savais rien de l'avenir mais le présent me plaisait et ça me suffisait pour l’heure.
« Ma voiture est devant. Avant d'aller à Catonsville, on va faire un tour dans la ville. De toute manière c'est sur le chemin. »
« Vive Baltimore ! » La voiture était une Toyota Prius très jolie et nous sommes partis. J'étais dans un autre monde pour le meilleur et pour le pire et mon coeur palpitait de bonheur !
Texte de l'épisode 7 :
Et maintenant nous étions dans l'avion. Dessous il y avait les champs, les villages et aussi les villes et autour de l’avion d'Airbus Industrie A319, les nuages blancs qui s'étiraient comme des tableaux de Michel-Ange : c'était la première fois que j'étais dans le ciel ! Mon coeur battait la chamade ! Mathilde semblait être aux anges et, du hublot, elle regardait la terre s'éloigner. Quel plaisir d'être avec cette petite, ce n’était peut-être qu’un rêve ! Tout le bonheur de la terre m'était tombé dessus et je n'avais rien demandé : j'avais l'amour d'une fille jolie et sans attaches et l'argent du tonton mort. Le malheur des autres faisait mon bonheur !
Dans l'avion il y avait un tas de retraités : ils étaient tous ensemble, les uns derrière les autres à l'entrée de la classe « économique ». Ils parlaient très fort et faisaient du bruit : ils riaient, chantaient « C'est un fameux trois mats fin comme un oiseau, hisse et ho Santiago » !
C'était un voyage organisé : « L'automne en Floride, Miami Beach en bordure de mer ».
Nos sièges étaient sur le côté droit, au milieu après les ailes. Deux sièges derrière il y avait un couple : le type très grand et maigre comme un «estockefish», 45 ans, les cheveux teints en blond, une bouche fine qui semblait aller d'une oreille à l'autre. La femme, grande aussi, les cheveux rouges, bien en chair et tout sourire. Sur le siège de l'autre côté de l'allée, était assis un homme de trente ans, mal habillé, les cheveux sales, le menton mal rasé, la bouche amère. Ils parlaient tous avec un accent très pointu. Leurs voix étaient d'un autre monde : j'avais l'impression d'entendre un film policier. Dans ma tête, tournait la chansonnette de l'école de mon village : « parisien, tête de chien, parigot, tête de veau » !
Les hôtesses nous servirent le dîner et pour commencer, l'apéritif. Pour fêter ce grand jour de départ, nous avons bu du champagne. Puis, nous avons mangé, ça n'était pas mauvais pour une « classe économique ». Les parisiens, eux, n'arrêtaient pas d'appeler l'hôtesse pour demander du whisky. Après le café j'ai commencé à dormir, un petit somme était bienvenu car nous étions levées depuis l’aube. Les retraités continuaient à parler et à rire.
Tout à coup le type crasseux commença à crier :
« Eh les vieux fermez-là, moi je suis Bécon les Bruyères et j'ai la haine. Tas de vieux clous ! »
Un grand silence tomba et tout le monde se retourna pour voir qui criait :
« J'veux m'saoûler – à boire l'hôtesse ! - tournez-vous les vieux, j'veux pus voir vos faces de clowns sinon j'réponds plus de rien. »
Le grand blond commençait à éclater de rire en criant :
« Va-z y Bécon les Bruyères, fais leur voir qui tu es ! »
L'autre se redressa et continua :
« Vous avez peur vieux bouts ? Nous on est jeune ! On fait l'amour et vous vous n'avez plus qu'à faire le mort ! A boire ! Et plus vite que ça ! »
« Wisky à gogo sur l'Atlantique ! À nos femelles qui nous attendent à Philadelphie ! »
Les gens (les vieux et les autres) se cachaient dans les sièges. La pauvre hôtesse ne savait plus que faire, et quand la pauvre femme passa dans l'allée, le type lui donna une grande tape sur le cul !
« Olé ! L'Amérique est à nous ! »
Quand quelque chose comme ça arrive en bas, sur la terre, ce n'est pas agréable mais enfin on peut toujours se dire qu'on peut arrêter la machine, ouvrir la porte et sortir. Mais tout en haut, dans le ciel au-dessus de la mer, que faire ?
Mathilde me prit la main :
« Jeanne, ils sont idiots et ivres ! Tu n'as pas peur ? »
Maintenant les types dansaient en chantant et en criant :
« R'gardez les vieux, nous on danse et on chante ! Eh! La femme ! Viens avec nous ! »
Mais la femme rousse ne voulait pas se lever pour danser.
« A boire ! A boire ! »
Mais les hôtesses ne venaient plus. Et tout à coup le capitaine de l'avion est arrivé avec son habit bleu et doré et son chapeau. Il n'était pas seul : de l'autre côté il y avait un autre homme, un stewart.
« Asseyez-vous Messieurs. Nous ne sommes pas dans un dancing et nous vous prions de rester tranquilles. »
« Eh capitaine ! On a payé ! On fait c'qu'on veut non ? »
« Si vous voulez repartir à Paris par le prochain avion, libre à vous... »
« Eh ! Tu vas pas nous faire peur avec ton uniforme ?! »
« Vous voulez être attachés à votre fauteuil pour la fin du voyage ? »
Le capitaine sortit les menottes de sa poche et tout changea.
« Capitaine, vous avez gagné, on s'tait ! »
« Les hôtesses ne vous donneront plus à boire et nous vous retrouverons à Philadelphie. Outrages à passagers... »
Tout d'un coup le silence fut roi avec le bourdonnement de l'avion. La peur de la police avait fait son effet. La vie continua dans la « classe économique », mais les retraités étaient moins bruyants. Les deux parisiens se turent sans dire un mot de plus et commencèrent à ronfler, bouche ouverte : le whisky faisait son travail ! Il y avait encore 5 heures avant l’atterrissage. Mathilde, fatiguée, dormait comme une enfant. Je choisis de regarder un film : Harry Potter à l'école des sorciers, en français. Ça me plut beaucoup. Puis je suis restée les yeux ouverts rêveuse : peut-être que j'étais idiote d'essayer de revoir Rémi après 35 ans ! Mais de toute manière c'était une bonne occasion pour voyager avec ma petite Mathilde. On verrait bien, le déluge ne me faisait pas peur.
L'avion commença sa descente pour l'atterrissage : et les fromages de chèvre de ma soeur que j'avais cachés dans un tupperware, est-ce qu'ils les trouveraient dans la valise à la douane ?