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Carnaval, Cérémonies et chants de l'enfance / Jacques Bouët
Bouët, Jacques

Enregistrement traité dans le cadre du programme Patrimoine Oral du Massif Central.
Entretien avec plusieurs chanteuses qui récitent ou chantent tour à tour plusieurs chansons de leur enfance, aussi bien en occitan qu'en français.

 

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Lo viatge de Joana - Saison 1 / Épisode 10
Clément, Anne. Auteur, interprète
Benichou, Julien. Compositeur
Benichou, Daphné. Interprète
Alranq, Perrine. Interprète
Vidal, Alain. Interprète
Zinner, Lucas. Interprète
Huang, Edda. Interprète

Texte de l'épisode 10 : 

La nuit fut courte et le réveil plus que difficile avec le décalage horaire. La pauvre Jeanne buvait son thé sans savoir où elle était : heureusement elle voyait de l'autre côté de la rue,dans le jardin où se promenaient les écureuils, un drapeau planté qui n'était pas un drapeaufrançais, ni un drapeau occitan mais celui du plus grand pays du monde occidental, les Etats-Unis d'Amérique.

- « Bon dieu, c'est étrange, est-ce qu'ici ils plantent les drapeaux dans les jardins parce qu'ils font des fruits ? »

- « Non, c'est un moyen de dire de quel côté on est : les républicains avec le drapeau US ont une pancarte où on peut lire « Support our troups » et, si tu regarde dans l'autre jardin, tu peux voir qu'ils sont démocrates parce qu'ils ont une pancarte où il y a écrit : « War is not an answer », « Obama president ».

- « Comme ça chacun sait ce que vote vote son voisin ! C'est plus simple, pas d'embrouille  ! »

- « Jeanne, nous aurons le temps de discuter dans la voiture, va t'habiller. Dépêche-toi. Je commence à 11 heures : c'est une leçon sur la trobairitz La comtessa de Dia ».

On était encore dans la chaleur de l'été, j'avais mis une robe jaune et rouge. on partit et je me retournai : Mathilde avait mis sa tête à la fenêtre, mais je ne pense pas qu'elle me voyait.

Elle semblait être ailleurs. C'était la première fois que je la laissais pour une journée entière. Je lui avais laissé 100 dollars, si elle voulait s'acheter quelque chose, on ne sait jamais !

Rémy était heureux ; il sifflait le « Se Canta ».

- « Madame est vêtue comme un drapeau occitan, pour un cours de langue romane c'est une bonne idée : ça fait folklorique. Il y en a qui ont le drapeau dans le jardin et d'autres qui le mettent sur eux ! »

- «  Toi, tu es habillé comme un professeur : à chacun son métier. »

Rémy me prit la main :

- « Ça me fait plaisir d'être avec toi! »

- « Moi aussi mais je suis inquiète d'avoir laissé Mathilde seule ! »

- « Mathilde est majeure, elle peut vivre sans une mère à ses côtés. »

Nous étions sur une autoroute, puis nous avons tourné vers UMBC c'est à dire : University of Maryland Baltimore County. Une université publique.

Moi qui avais passé toute ma vie dans la poste de mon village, je me sentais comme une enfant à côté de ces grands buildings avec des étudiants qui courraient partout, de toutes les couleurs et surtout qui ne parlaient que l'anglais. Pas tous : j'entendais parler espagnol aussi. A chaque fois que Rémy rencontrait quelqu'un qu'il connaissait il me présentait : « Jeanne Belcaire, une amie d'enfance venue du midi de la France et qui parle la langue occitane que j'enseigne dans mes cours. »

Je ne comprenais pas tout mais j'essayais de faire celle qui... en faisant beaucoup de sourires et de Hello !

Peut-être que dans peu de temps j'oserai dire : How are you ?

Nous étions enfin arrivés dans la classe où les étudiants de Rémy nous attendaient.

- « Today we will leave la Contessa de Dia and speak occitan. Jeanne does not understand a word of English. She came especially from her country to meet you and as you are all very polite you must talk with her. »

Tout le monde commença à rire. C'était trop difficile pour eux de maîtriser la langue occitane. Donc Rémy fit les traductions de l'anglais à l'occitan et de l'occitan à l'anglais. Mais il y en avait qui essayaient de me comprendre et disaient que c'était plus simple que le français parce que c'était proche de l'espagnol.

Les questions tournaient autour de la langue, du vin, des taureaux :

-« Do people still speak occitan in the street ? »

-« Do you drink wine every day ? »

- « Do you like to see bullfights ? »

Puis Rémy me demanda de chanter une chanson : je choisis la chansin de Claire d'Anduze « en greu esmai ». Peut-être qu'une chanson de « Moussu T e lei Jovents » comme « Lo gabian » aurait été plus belle pour ces jeunes, mais je ne connaissais pas les paroles.

Après le repas il y avait encore un cours.

Je me régalais : Mathilde était loin. J'étais tellement heureuse d'être avec tous ces jeunes et Rémy semblait se régaler aussi.

En rentrant à la maison il me dit :

 - « C'est la première fois que je fais ça et c'est un plaisir. Dommage que la retraite est si proche.... nous aurions pu faire tant de choses ensemble ».

- « Quand t'arrêtera-tu ? »

- «  L'année prochaine et je ne sais pas ce que je vais faire... Allons au supermarché près de la maison : Giant. » 

- « Je veux du poisson, de la salade verte, du roquefort et du sorbet. C'est moi qui régale aujourd'hui ! »

- « Ma Dame, c'est comme vous voulez ! »

Quand je payais avec la carte Visa la caissière me demanda :

- « Cash ? »

- « Que veut-elle dire ? »

- « Le supermarché est comme une banque. Si tu veux cette dame peut te donner de l'argent. »

- « No, thank you ! »

- « Hourra ! Tu commence à parler ! »

Nous arrivâmes à la maison, c'était le soir mais la maison était complètement obscure, pas une lumière.

- « Que se passe-t'il, Mathilde n'est pas rentrée ? »

- «  Ne te fais pas de mauvais sang : elle est allée se promener, s'il s'était passé quoi que ce soit elle m'aurait appelé sur mon portable ! »

Rémy ouvrit la porte d'entrée, nous avons porté les courses dans la cuisine. Sur la table il y avait une lettre.

Je commençai à frissonner : la tête de Mathilde à la fenêtre ce matin si lointaine !

Je m'assis, maintenant c'était le moment de lire :

« Jeanne,

 Je sais que tu pleureras ce soir, mais tu ne seras pas seule : Rémy sera à côté de toi. Merci pour tout. Je n'ai pas voulu te le dire mais j'ai rencontré un amoureux par Internet, et il est venu me chercher depuis Philadelphie. Si tout se passe bien avec lui je te rapellerai et quand nous viendrons en France ce sera chez toi. Je veux être libre de choisir ma vie et être indépendante. Il y avait trop d'amour entre nous : tout l'amour que tu n'as pas eu dans ta vie sans mari et sans enfant, tout l'amour que je n'ai jamais eu avec ma famille. Ça me faisait peur.

Adieu et peut être à un jour, je ne sais pas quand. 

Ta fille qui t'aime 

Mathilde

P.S. : Merci à Rémy pour son hospitalité »

C'était la fin d'un rêve. Tout tournait autour de moi.

Je pleurai et nous avons parlé toute la nuit avec Rémy : quand on est vieux, un avenir est-il possible ? Quand on est jeune peut-on être heureux tout seul ?

Et maintenant que faire : rester, rentrer à la maison... ou changer complètement de vie ?

FIN

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Lo viatge de Joana - Saison 1 / Épisode 9
Clément, Anne. Auteur, interprète

Benichou, Julien. Compositeur
Benichou, Daphné. Interprète


Zinner, Lucas. Interprète
Huang, Edda. Interprète
Alranq, Perrine. Interprète
Vidal, Alain. Interprète

Texte de l'épisode 9 : 

Après l'autoroute, nous sommes entrés dans la ville. Rémy était heureux de faire le guide. Pour commencer le quartier de la mer avec le gigantesque aquarium.

Baltimore au bord de la baie du Cheasepeake, est un peu le pendant de Marseille sur le bord de la mer Méditerranée : deux villes qui étaient à une époque deux grands ports.

Évidemment, il y en a une avec ses gratte-ciels américains qui est plus grande que l'autre avec la Bonne Mère. En se promenant sur l'ancien port de Baltimore Fellspoint, on pense au vieux port de Marseille ! Mais ici pas de bouillabaisse : que des crabes : c'est l'animal totémique de la ville !

Nous avons fait un petit tour dans le centre ville avec ses très grandes avenues et les sirènes des voitures de police qui n'arrêtaient pas de hurler. Et Rémy dit :

« J'ai besoin d'aller dans une épicerie italienne si je veux vous faire un peu de bonne cuisine. On y trouvera tout ce qu'il faut. »

« Mais c'est trop tard ! Les boutiques doivent être fermées, il est onze heures du soir ! »

« Tu n'es plus en France, petite, ici tu peux trouver tout ce que tu veux quand tu le veux ! »

« The new world ! »

Nous avons garé la voiture et sommes entrés dans la « Sicilienne ».

Mathilde était ébahie de voir tout ce qu'il y avait sur les rayonnages de la boutique : olives, tomates, huile d'olive, pâtes, parmesan, comme dans un village de Toscane.

Tout d'un coup Rémy cria :

 « Attention ! Tout le monde au fond de la boutique».

Un bruit de fusillade dans la rue où il n'y avait plus de voitures. On entendit des cris, une balle transperça la vitrine, on vit deux hommes qui courraient. Dans la boutique pas un mot. Puis le silence dehors et pour finir la sirène des voitures de police.

Mathilde pleurait :

« Mais que se passe-t-il ? C'est la première fois de ma vie que j'ai aussi peur. C'est un mauvais rêve : je veux rentrer à Montpellier. Jeanne partons ! Ce new world ne me plaît pas ! »

Elle ressemblait à une enfant et j'avais envie de rire à m'exploser les côtes : c'était mieux qu'au cinéma ! Rémy était sérieux et pas très content de cette aventure. Sa voix était celle d'un professeur :

« Baltimore est une ville où les fusils sont rois : 300 personnes sont tuées chaque année par balles. Ne te fais pas de mauvais sang petite, nous allons à Catonsville, c'est une ville calme. Ça fait trente cinq ans que je vis dans ce pays et c'est la première fois que je me trouve au milieu d'une telle affaire ! »

« Il nous faut terminer les courses ! Mathilde, quand on racontera ça au village, personne ne nous croira ! »

« J'aimerais goûter une pizza américaine ! »

C'était un peu comme un bizutage ! Quelle chance !

Nous sommes arrivés à Catonsville : il était minuit passé.

Une jolie maison avec un étage, au milieu d'un jardin, toute en bois:

« Elle est ancienne, elle a été bâtie en 1920 ».

Nous sommes entrés dans la maison :

« Allez poser vos valises. En haut de l'escalier à droite Mathilde et de l'autre côté Jeanne ! Je commence à préparer le dîner. »

« Je peux prendre une douche ? »

« Bien sûr petite ! Tant que tu veux ! ».

Je montai dans la chambre. Elle était petite mais jolie : un lit, une table, une armoire. Je me sentais timide et un peu nigaude. J'essayai de me faire jolie, pecaire, qu'à mon âge ce n'est pas simple.

Rémy était dans la cuisine : une cuisine américaine moderne qui n'avait rien à voir avec la mienne au village.

Je ne savais pas que faire pour l'aider.

« Je suis heureuse d'être ici, merci de nous recevoir. »

« C'est un plaisir pour moi. Depuis la mort de Lise je me sens seul comme un vieux. Heureusement qu'il y a l'université et les collègues. »

« Est-ce que tu rentreras quand tu seras à la retraite ? »

« Pour quoi faire ? Je ne connais plus personne au pays et je pense que changer de mode de vie doit être difficile à mon âge ! »

« Mais peut-être que tu pourrais venir plus souvent : il y a toujours la maison de ta mère ? »

« C'est ma soeur qui l'a prise pour sa retraite. »

« Maintenant j'ai deux maisons. J'ai fait un bel héritage ! »

« Un héritage ? Comment ? Tu te moques de moi ?! Ta famille n'avait pas un sou ! »

« Mon oncle Vincent m'a tout laissé. C'est pour ça que je suis ici : j'ai de l'argent ! »

« Et cette Mathilde, où l'as tu trouvée ? Jeanne aurait eu une fille sans rien dire à personne ? Tu me feras toujours rire ! »

« Si je te racontais comment ça s'est passé tu me croirais pas ! »

« Essaie, on verra bien ! »

« Le jour de la mort de l'oncle Vincent, quelqu'un a sonné à ma porte et... c'était Mathilde ! Depuis elle est restée avec moi et je suis heureuse. Je n'ai pas pu résister à son sourire et au plaisir d'avoir enfin une fille, mon vieux rêve... »

« Il faudra lui trouver un travail... »

« Non... une école de diététique... je paierai pour elle ! »

« J'ai faim ! Est-ce que nous pouvons manger ? »

« Ne t'en fais pas ma fille, pour commencer nous allons boire un peu de vin de l'Hérault, un Faugères ! Et demain vous viendrez avec moi au cours de langue romane... »

« Vous ferez comme vous voudrez, mais demain, je veux rester seule à la maison pour dormir et découvrir Catonsville. »

« Quelle idée ! Comme tu veux ! Tu es grande et tu sais ce que tu fais ! Mais ça ne me plaît pas trop te laisser seule, même si Catonsville n'est pas Baltimore ! »

« Hourra ! Santé ! ».

Voir l'épisode 10

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Bernard Manciet lit un extrait de son roman Lo gojat de noveme
Manciet, Bernard (1923-2005)

Enregistrement inédit de Bernard Manciet lisant l'incipit du Gojat de Noveme, réalisé chez l'auteur, à Trensacq dans les Landes, par Serge Javaloyès, directeur de la revue et des éditions Reclams.

Ce roman, paru la première fois en 1964 (Toulouse, Institut d'estudis occitans) et plusieurs fois réédité (Reclams, 1995 et 2003), est une des œuvres majeures de la littérature occitane du XXe siècle.

"Lo gojat de noveme est le nom que donne Bernard, le narrateur à cet étranger qui vient chaque année au Barrail pour quelques jours puis reprend son chemin vers on ne sait quel destin. Une année, il ne réapparaît pas. Commence alors une longue attente d'une famille écrasée par la misère et l'isolement. Il reviendra pourtant, le jeune homme de novembre, mais rien ne sera plus comme avant. Bernard devra continuer à vivre dans ce monde à l'agonie malgré la tuberculose qui l'étouffe ; vivre jusqu'au bout du souffle, pour dire le secret qui déchire son âme d'homme." Présentation de l'éditeur, Lo Gojat de Noveme, Editions Reclams, Collection "Obras", 2003. 

Bernard Manciet, Bernat Manciet en occitan (Sabres, 1923 – Mont-de-Marsan, 2005), écrivain d'expression gasconne et française, est une figure majeure de la littérature occitane du XXe siècle.

Traduction française de l'incipit de Lo gojat de noveme (Edicions Reclams, Pau, 2003).

"Une fois que le marchand de sangsues était revenu de l'étang d'Aureilhan, passaient encore les gens de Labrit de retour de la foire de septembre, avec leurs bâches blanches. Puis c'étaient les palombes, et nous criions: "Ohé...uu..." sur la lande. Et puis le mauvais temps. Au bourg, quand s'étaient éteintes les lampes à acétylène des baraques, les soirs de Saint-Martin, et éteint le fromage rond du poste d'essence - on entendait quelques temps encore le marchant d'appeaux, la nuit, sur notre chemin -, nous étions dans l'hiver. Les gitans faisaient du feu, un soir, deux soirs, quand ils se trouvaient à passer. Quant aux autres pauvres diables, les gens du Cirque ou les colporteurs de la montagne, ceux-là ne viendraient se chauffer chez nous qu'un moment : depuis le chemin on voyait rougeoyer notre foyer."

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Lo viatge de Joana - Saison 1 / Épisode 8
Clément, Anne. Auteur, interprète
Benichou, Julien. Compositeur
Alranq, Perrine. Interprète
Vidal, Alain. Interprète
Benichou, Daphné. Interprète
Huang, Edda. Interprète

Zinner, Lucas. Interprète

Texte de l'épisode 8 : 

Nous étions entrés dans l'aéroport de Philadelphie. Nous n'avions plus qu'à attendre les valises. Nous attendions dans une grande salle les bagages qui devaient arriver sur un tapis roulant. Une voix s'écria dans un haut-parleur :

« Ladies and gentlemen welcome to the United States. The FDA, Food and Drugs administration prohibits the importation of fresh food into the country. Our dogs are here to smell your luggage ».

Il ne manquait plus que ça ! Deux chiens allaient d'un sac à l'autre et il y en avait un qui commençait à aboyer devant le sac d'une famille : une femme en uniforme courut et ouvrit le sac : peuchère les gens avaient gardé un sandwich SNCF! Il fut vite jeté dans une poubelle. La famille, le père, la mère et les deux enfants avec un accent de Marseille se serraient les uns contre les autres, honteux et effrayés, peut-être qu'ils avaient peur d'être emprisonnés à Guantanamo !

Je vis arriver ma valise rouge suivie de celle de Mathilde. Chacune prit la sienne et les chiens ne sentirent rien, après avoir fait le tour de la valise ils s'en allèrent : ouf !

Maintenant la douane et tout le tremblement : ils prirent des photographies des mains, des yeux, puis il nous fallut remplir des papiers avec l'adresse de Rémy, le téléphone etc... Heureusement Matilda comprenait tout ce qui était demandé sur les papiers.

« Do you have something to declare ? No fresh food in your luggage ? »

Et les fromages de chèvre ? Tout allait bien : ils avaient échappé au nez du chien !

Il nous fallait aller porte 19B pour prendre l'avion pour Baltimore. Couloirs sans fin, escalators et puis personne qui parlait français ! C'était la musique d'un autre monde !

Dehors c'était la nuit et le voyage était court : 45 minutes, montée/descente.

« Ladies and gentlemen, please fasten your seat belts. We are leaving Philadelphia for Baltimore BWI. »

L'avion était petit, on aurait dit un bus et le café c’était de l'eau. Les voyageurs n'avaient qu'un porte-documents. Peut-être que c'étaient des hommes et des femmes qui travaillaient à Philadelphie et qui rentraient le soir à Baltimore, comme ceux qui travaillent à Montpellier et qui rentrent le soir au village.

« Je commence à en avoir marre. Je suis fatiguée. Ici il est 8 heures. Il doit être 2 heures du matin au village. Nous avons fermé la maison à 6 heures du matin c'est à dire à minuit ici ! »

« Ne t'en fais pas. Rémy nous attendra avec un bon souper ! »

« On m'a dit que dans ce pays les gens ne boivent pas de vin. C'est vrai ? »

« Je ne sais pas mais Rémy, il a toujours aimé boire un coup. Et quand il est venu pour enterrer sa mère la dernière fois que je l'ai vu, ça fait dix ans, il n'a pas bu que de l'eau ! Ça je peux te l'affirmer ! »

« Ce qui m'étonne c'est que dans ce pays il y a plus de peaux noires que de peaux blanches »

« J'ai lu dans Wikipedia sur Internet que Baltimore, durant la guerre de Sécession était une ville sudiste et que maintenant il y a plus de 70% de noirs. »

« Mais c'est une ville démocrate et pas républicaine comme le Sud. »

« Eh bien tant mieux ! C'est comme le midi de la France à une époque ! »

« Tais-toi : il est toujours à gauche ! »

« On verra bien ! »

« Ladies and gentlemen welcome to Baltimore, Maryland. Please stay in your seats until fastenseat belt lights are off. United Airlines hopes you had a pleasant flight and looks forward flying with you again soon. »

Encore des couloirs, des escaliers mécaniques, la salle avec tapis roulant pour récupérer les valises, avec les fromages de chèvre des Cévennes... Une dernière porte, un escalier et en haut, un homme, les cheveux blancs, la peau brune de son père venu de Barcelone pendant «la retirada» en 1936, un peu timide mais avec un sourire généreux et plein de douceur. Tout d'un coup la peur me prit, je ne pouvais plus respirer, il était si agréable et moi je me sentais si vieille et laide à 60 ans comme à 20 ans . Le temps ne fait rien à l'affaire !

Il descendit l'escalier :

«La valise est trop lourde Jeanne ? Le voyage est un peu long peut-être quand on n’a pas l'habitude. Tu n'es pas malade au moins ? La grippe H1N1 n'est pas venue avec toi jusqu'à Baltimore ? «

Puis il me prit dans ses bras et me serra fort, ma peur s'en alla :

« Tu as eu une bonne idée de venir. Où es ta filleule ? »

« Ici ! »

Il l’embrassa. Nous étions tous trois au milieu de la salle d'attente de l'aéroport et j'étais tellement heureuse! Je ne savais rien de l'avenir mais le présent me plaisait et ça me suffisait pour l’heure.

« Ma voiture est devant. Avant d'aller à Catonsville, on va faire un tour dans la ville. De toute manière c'est sur le chemin. »

« Vive Baltimore ! » La voiture était une Toyota Prius très jolie et nous sommes partis. J'étais dans un autre monde pour le meilleur et pour le pire et mon coeur palpitait de bonheur !

Voir l'épisode 9

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Lo viatge de Joana - Saison 1 / Épisode 7
Clément, Anne. Auteur, interprète
Benichou, Julien. Compositeur
Alranq, Perrine. Interprète
Vidal, Alain. Interprète
Hébrard, Jean. Interprète
Benichou, Daphné. Interprète
Hommeau, Jean-François. Interprète
Vidal, Alain. Interprète
Huang, Edda. Interprète
Zinner, Lucas. Interprète

Texte de l'épisode 7 : 

Et maintenant nous étions dans l'avion. Dessous il y avait les champs, les villages et aussi les villes et autour de l’avion d'Airbus Industrie A319, les nuages blancs qui s'étiraient comme des tableaux de Michel-Ange : c'était la première fois que j'étais dans le ciel ! Mon coeur battait la chamade ! Mathilde semblait être aux anges et, du hublot, elle regardait la terre s'éloigner. Quel plaisir d'être avec cette petite, ce n’était peut-être qu’un rêve ! Tout le bonheur de la terre m'était tombé dessus et je n'avais rien demandé : j'avais l'amour d'une fille jolie et sans attaches et l'argent du tonton mort. Le malheur des autres faisait mon bonheur !

Dans l'avion il y avait un tas de retraités : ils étaient tous ensemble, les uns derrière les autres à l'entrée de la classe « économique ». Ils parlaient très fort et faisaient du bruit : ils riaient, chantaient « C'est un fameux trois mats fin comme un oiseau, hisse et ho Santiago » !

C'était un voyage organisé : « L'automne en Floride, Miami Beach en bordure de mer ».

Nos sièges étaient sur le côté droit, au milieu après les ailes. Deux sièges derrière il y avait un couple : le type très grand et maigre comme un «estockefish», 45 ans, les cheveux teints en blond, une bouche fine qui semblait aller d'une oreille à l'autre. La femme, grande aussi, les cheveux rouges, bien en chair et tout sourire. Sur le siège de l'autre côté de l'allée, était assis un homme de trente ans, mal habillé, les cheveux sales, le menton mal rasé, la bouche amère. Ils parlaient tous avec un accent très pointu. Leurs voix étaient d'un autre monde : j'avais l'impression d'entendre un film policier. Dans ma tête, tournait la chansonnette de l'école de mon village : « parisien, tête de chien, parigot, tête de veau » !

Les hôtesses nous servirent le dîner et pour commencer, l'apéritif. Pour fêter ce grand jour de départ, nous avons bu du champagne. Puis, nous avons mangé, ça n'était pas mauvais pour une « classe économique ». Les parisiens, eux, n'arrêtaient pas d'appeler l'hôtesse pour demander du whisky. Après le café j'ai commencé à dormir, un petit somme était bienvenu car nous étions levées depuis l’aube. Les retraités continuaient à parler et à rire.

Tout à coup le type crasseux commença à crier :

« Eh les vieux fermez-là, moi je suis Bécon les Bruyères et j'ai la haine. Tas de vieux clous ! »

Un grand silence tomba et tout le monde se retourna pour voir qui criait :

« J'veux m'saoûler – à boire l'hôtesse ! - tournez-vous les vieux, j'veux pus voir vos faces de clowns sinon j'réponds plus de rien. »

Le grand blond commençait à éclater de rire en criant :

« Va-z y Bécon les Bruyères, fais leur voir qui tu es ! »

L'autre se redressa et continua :

« Vous avez peur vieux bouts ? Nous on est jeune ! On fait l'amour et vous vous n'avez plus qu'à faire le mort ! A boire ! Et plus vite que ça ! » 

« Wisky à gogo sur l'Atlantique ! À nos femelles qui nous attendent à Philadelphie ! »

Les gens (les vieux et les autres) se cachaient dans les sièges. La pauvre hôtesse ne savait plus que faire, et quand la pauvre femme passa dans l'allée, le type lui donna une grande tape sur le cul !

« Olé ! L'Amérique est à nous ! »

Quand quelque chose comme ça arrive en bas, sur la terre, ce n'est pas agréable mais enfin on peut toujours se dire qu'on peut arrêter la machine, ouvrir la porte et sortir. Mais tout en haut, dans le ciel au-dessus de la mer, que faire ?

Mathilde me prit la main :

« Jeanne, ils sont idiots et ivres ! Tu n'as pas peur ? »

Maintenant les types dansaient en chantant et en criant :

« R'gardez les vieux, nous on danse et on chante ! Eh! La femme ! Viens avec nous ! »

Mais la femme rousse ne voulait pas se lever pour danser.

« A boire ! A boire ! »

Mais les hôtesses ne venaient plus. Et tout à coup le capitaine de l'avion est arrivé avec son habit bleu et doré et son chapeau. Il n'était pas seul : de l'autre côté il y avait un autre homme, un stewart.

« Asseyez-vous Messieurs. Nous ne sommes pas dans un dancing et nous vous prions de rester tranquilles. »

« Eh capitaine ! On a payé ! On fait c'qu'on veut non ? » 

« Si vous voulez repartir à Paris par le prochain avion, libre à vous... »

« Eh ! Tu vas pas nous faire peur avec ton uniforme ?! »

« Vous voulez être attachés à votre fauteuil pour la fin du voyage ? »

Le capitaine sortit les menottes de sa poche et tout changea.

« Capitaine, vous avez gagné, on s'tait ! »

« Les hôtesses ne vous donneront plus à boire et nous vous retrouverons à Philadelphie. Outrages à passagers... »

Tout d'un coup le silence fut roi avec le bourdonnement de l'avion. La peur de la police avait fait son effet. La vie continua dans la « classe économique », mais les retraités étaient moins bruyants. Les deux parisiens se turent sans dire un mot de plus et commencèrent à ronfler, bouche ouverte : le whisky faisait son travail ! Il y avait encore 5 heures avant l’atterrissage. Mathilde, fatiguée, dormait comme une enfant. Je choisis de regarder un film : Harry Potter à l'école des sorciers, en français. Ça me plut beaucoup. Puis je suis restée les yeux ouverts rêveuse : peut-être que j'étais idiote d'essayer de revoir Rémi après 35 ans ! Mais de toute manière c'était une bonne occasion pour voyager avec ma petite Mathilde. On verrait bien, le déluge ne me faisait pas peur.

L'avion commença sa descente pour l'atterrissage : et les fromages de chèvre de ma soeur que j'avais cachés dans un tupperware, est-ce qu'ils les trouveraient dans la valise à la douane ?

Voir l'épisode 8

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Lo viatge de Joana - Saison 1 / Épisode 6
Clément, Anne. Auteur, interprète
Benichou, Julien. Compositeur
Alranq, Perrine. Interprète
Vidal, Alain. Interprète
Hébrard, Jean. Interprète
Huang, Edda. Interprète
Zinner, Lucas. Interprète
Benichou, Daphné. Interprète

Texte de l'épisode 6 : 

Le lendemain c’était le jour de l'automne. Les vendanges étaient terminées. J'allais voir le notaire. Je lui dis que je voulais vendre les vignes qui n'étaient pas louées quand je reviendrai. Si quelqu'un cherchait... Il me dit :

« Avec la crise les seules terres qui se vendent sont celles où l'on peut construire des maisons pour les retraités et les touristes. Mais on ne sait jamais : un riche américain pour faire un vin spécial... »

Pour le moment, l'argent de l'oncle suffirait pour faire la fête avec Mathilde : il y en avait assez. Je ne voulais le dire à personne, mais, sur le papier personne n’entendra : 500 000 euros !

De toute manière il me fallait écrire un mail à Rémy à Baltimore avant d'acheter les billets d'avion. Heureusement, Mathilde – qui était très heureuse de partir avec moi – parlait anglais et fut d'une grande aide : Rémy était professeur à UMBC- University of Maryland Baltimore County Campus. Sa maison était à Catonsville dans le comté, pas dans la ville de Baltimore. Enfin, nous avons trouvé son numéro de téléphone.

J'avais honte, mais il me fallait l'appeler : il n'y avait pas d'autre choix pour partir. Je ne l'avais pas vu depuis 10 ans. La dernière fois il était venu pour l'enterrement de sa mère (encore, ça ne finira donc jamais ! Mais cette fois là c'était dans le cimetière, l'enterrement, pas dans le Vire, les pieds dans l'eau avec l'urne !). Et l'heure pour appeler ? Comment savoir quand il travaillait ? Avec le décalage horaire ce n'était pas facile : six heures de moins.

« Je pense que le mieux c'est de l'appeler le matin : j'ai vu sur la carte que l'université est proche de sa maison qui est sur Hill View numéro 875. »

« C'est à la campagne ? »

« Non mais ça doit être une maison avec un jardin comme on peut en voir à la TV. »

« Il nous faudra louer une voiture, autrement nous serons bloquées loin de la ville ! Je veux voir du monde ! »

« Donc nous appellerons à deux heures de l’après midi : il sera huit heures du matin pour lui ».

Avant d'aller nous coucher nous avons fait un tour sur les sites de « voyages économiques ».

Pour Baltimore, ça n'était pas simple et très long :

Montpellier/Paris puis Paris/Philadelphie et, pour terminer Philadelphie/Baltimore. Et en plus ça coûtait 1700 euros, c'était le moins cher.

Nous avions la nuit pour réfléchir. C'était la première fois de ma vie depuis que j'avais quitté la maison de ma mère que je pouvais dire « bonne nuit » à quelqu'un dans ma maison en ayant des projets de vie avec cette personne. Peut-être que Mathilde, jolie comme elle l'était, trouverait bientôt un homme et me laisserait tomber comme un vieux crouton : mais aujourd'hui c'était la vie « d'ici et maintenant » comme ils disent les intellos, qui m'intéressait.

Le lendemain matin nous avons parlé des papiers : les passeports. Nous avons appelé la préfecture : pour moi tout allait bien. Mathilde, elle, avait un passeport biométrique tout neuf : j'étais très surprise que cette petite ait ça.

« Le jour de ma majorité j'ai voulu être libre de me laisser l'occasion de partir quand ça serait possible et de laisser ce vieux monde. »

« Mais tu sais Mathilde que ce n'est qu’un voyage de trois mois que nous allons faire. Puis nous reviendrons. »

« On verra bien : je pense que tout est possible à mon âge ! J'ai toute la vie devant moi et je veux la déguster . »

Bon : je n'avais rien à dire.

C’était deux heures : « Allo Rémy. C'est Jeanne. Jeanne Belcaire ! »

« Ah ! Jeanne, ça fait plaisir d'entendre ta voix et surtout ton accent. Et la langue occitane, ici ce n'est pas simple de trouver quelqu'un pour la parler. Quel bon vent ?... »

« Rémy, je voudrais venir te voir à Baltimore. Je suis retraitée et j'ai envie de voyager. Et j'aimerais beaucoup te revoir. Tu es un ami pour moi depuis toujours. »

« Jeanne, ça me ferait plaisir aussi. Mais je travaille et tu seras seule à la maison. Tu t'ennuieras toute la journée et en plus tu ne parle pas la langue d'ici. »

« Rémy : je ne suis pas seule ! »

« Comment ? Tu as un homme ? Enfin ?! Et moi qui croyais... »

« Non : ma filleule est venue vivre avec moi ! »

« Quelle filleule ? Je ne la connais pas ! »

« C'est la fille d'une amie de collège, Lucienne. Sa mère est morte et aujourd'hui elle est venue vivre avec moi. »

« Et elle ne travaille pas ? »

« Elle voudrait apprendre la diététique. Elle commencera l'an prochain »

« Bon ! Etrange ! Tout ceci me fait plaisir. Je vous attends : prenez les billets et je viendrai vous chercher à l'aéroport BWI Baltimore. J'attends les horaires. Je te fais la bise : à bientôt ! » « Je te fais aussi la bise et je t'appellerai vite ! »

Mathilde dansait sur la terrasse tellement heureuse ! Puis, elle vint me faire un bisou. Et nous avons valsé toutes les deux en chantant « la mazurka sous les pins »

« Comment connais-tu cette chanson ? »

« Une institutrice nous a appris quelques mots d'occitan et des chansons aussi ! »

Une heure après nous avions pris les billets électroniques : le premier octobre nous serions à Catonsville Maryland.

Voir l'épisode 7

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Conférence : La vigne, haut lieu culturel
Ubaud, Josiane (ethnobotaniste)
Extraits de la conférence de Josiane Ubaud, lexicographe et ethnobotaniste en domaine occitan tenue le 2 juin 2010 dans les locaux du CIRDOC. Intitulée "La vigne, haut lieu culturel", accompagnée à l'origine d'une projection de photographies, cette intervention dresse l'analyse lexicographique de tous les termes gravitant autour de la viticulture et de la vigne.
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Lo viatge de Joana - Saison 1 / Épisode 5
Clément, Anne. Auteur, interprète
Benichou, Julien. Compositeur
Alranq, Perrine. Interprète
Huang, Edda. Interprète
Zinner, Lucas. Interprète
Benichou, Daphné. Interprète

Texte de l'épisode 5 : 

La porte-fenêtre de la terrasse était ouverte. Cela faisait un bon moment que nous étions assises toutes les deux : les mouches faisaient la ronde autour de la lampe et les moustiques la farandole. Mathilde ouvrit ses lèvres comme pour révéler le secret de sa vie et c'est un sourire qui s’épanouit sur son visage si beau. Je la regardais et j’attendais. Et la soirée semblait s'étirer sans but.

Au bout d'une heure je me suis levée pour prendre le journal et j’ai commencé à le lire – Le Midi Libre -, avec toute la poésie que nous connaissons bien – et alors j'ai entendu :

« Est-ce que je peux vous parler Jeanne ? »

« Bien sûr, rien ne me ferait plus plaisir. »

« Bon : je suis prête et je commence. Je suis née à Béziers il y a 19 ans. Je n'ai jamais vu mon père. Ma mère m'a dit un jour qu'elle l'avait foutu dehors parce que c'était un alcoolique et qu'il rentrait ivre chaque soir. Mais un autre jour, elle m'a dit que c'était lui qui l'avait abandonnée quand il avait appris qu'elle était enceinte. Je ne sais pas la vérité. Mais qu'elle qu'elle soit, ça ne change rien à ma vie : pas de papa ! Et je ne sais rien de lui, de sa vie et de sa famille. Ma mère était très jeune :18 ans. Elle n'avait pas d'argent et devait chercher du travail : j'ai été élevée par ma grand-mère, dans un coin de la ville, derrière la cathédrale. Ma mère trouva un travail à Marseille dans une boutique de vêtements. Le patron était un ami de mon grand-père, Monsieur Chauvet. Peut-être qu'il était amoureux de ma mère... Elle rentrait chaque mois. J'étais heureuse de pouvoir l'embrasser et j'aimais sentir ses mains sur ma peau. Je me rappelle qu'un soir je lui ai dit avant d'aller au lit : « si tu t'en vas demain matin, je ne veux pas le savoir, autrement je ne dormirai pas et je ne veux pas pleurer toute la nuit ! Demain je dois aller à l'école pour voir mes copines». J'aimais l'école et j'ai eu la chance d'avoir des instituteurs formidables. Pour les vacances ma mère m'emmenait, quand elle était avec nous, chaque jour à la mer avec la voiture de mon grand-père. J'aime beaucoup l'eau, la mer, et les mouettes. »

Mathilde commença à pleurer doucement. Je n'osai pas remuer. Le vent de la mer faisait danser le rideau de perles entre le salon et la cuisine. Le chat sauta sur mes genoux.

« Mathilde, tu veux une tisane de verveine du jardin ? » (sans faire attention, je l'avais tutoyée !) »

« Merci bien : je ne suis pas une amatrice de tisane. Un verre de lait plutôt ! »

Elle engloutit le lait sans respirer et puis :

« J'ai été très heureuse pendant des années. Et d'un coup tout a changé. Le malheur est arrivé. Mon grand père est mort quand j'avais 15 ans. Et un jour, il y a 2 ans, Monsieur Chauvet nous a appelé : ma mère n'était pas venue à la boutique depuis une semaine. Elle n'était pas à son studio non plus. La police fit des recherches poussées : rien. Nous sommes allées avec ma grand-mère chercher tout ce qu'elle avait laissé dans sa chambre. Nous avons payé le loyer. C'était l'année du bac. Tout s'était bien passé et j'avais décidé d'aller à l'université de Montpellier. Ma grand-mère, après tout ça, ne voulait pas rester toute seule à Béziers. Elle est allée dans une maison de retraite et elle est vite partie rejoindre son homme, l'an passé. Elle m'a laissé un peu d'argent mais pas beaucoup. Ce n'était pas possible pour moi de continuer l'université : je voulais apprendre la diététique et les études sont chères. »

« Comment es-tu arrivée chez moi ? »

« J'ai un ami dans votre village : nous avons vécu ensemble à Montpellier. Il s'appelle Jacques. Il m'a invité chez lui. Ses parents m'ont très bien accueillie. Mais je ne veux pas rester avec ce jeune : peut-être que dans quelques années nous nous retrouverons. On ne sait jamais. A l'heure d'aujourd'hui ma vie c’est moi qui doit me la choisir ! Après une nuit je suis partie : j'ai bu un café au Printemps et j'ai entendu un homme qui parlait de Jeanne Belcaire, qui était toute seule, qui n'avait pas de mari, pas d'enfants et qui avait un peu d'argent. Je ne savais pas où aller : j'ai réfléchi un moment et me suis dit : peut-être que cette dame a besoin de quelqu'un pour l'aider dans sa maison ? Et comme la vie ne m'a rien donné, mon chemin je dois le creuser toute seule, sans attendre qu'il me tombe du ciel. Et voilà, vous savez tout ! C'est sûr que j'ai un peu menti... »

C'était comme une histoire d'un autre siècle : un conte pour faire pleurer la grand-mère de ma grand-mère, le soir au coin de la cheminée. Mais de toute manière c'était la vie d'une fille d'aujourd'hui et cette fille, assise devant moi, me demandait l'hospitalité.

« Mathilde, tu peux rester chez moi, je suis d'accord. Demain sera un autre jour. J'ai décidé de voyager est-ce que tu veux venir avec moi rendre visite à un ami à Baltimore, USA ? »

Voir l'épisode 6

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Lo viatge de Joana - Saison 1 / Épisode 4
Clément, Anne. Auteur, interprète
Benichou, Julien. Compositeur
Alranq, Perrine. Interprète
Gaspa, Marie. Interprète
Hebrard, Alain. Interprète
Vidal, Jean. Interprète
Capron, Michel. Interprète
Huang, Edda. Interprète
Benichou, Daphné. Interprète
Zinner, Lucas. Interprète

Texte de l'épisode 4 : 

Et toute la nuit j'ai vu courir des cauchemars à califourchon sur des mules : mes aïeux, communistes du côté de mon père et huguenots des Cévennes du côté de ma mère, étaient furieux. Le matin, mes cheveux étaient dressés sur ma tête : il me fallait réfléchir : comment faire pour ne rien laisser après mon dernier souffle. Je ne pouvais pas digérer la chose entendue chez Maître Bardot : après moi, l'église catholique et romaine allait tout avaler, les papistes !

Puis, il y eut la cérémonie au funérarium : le choix de l'urne, rouge et jaune. Les amis de Vincent qui n'étaient évidemment pas des jeunes ont chanté le « se canta » et leurs petits enfants ont chanté avec eux : le monde changeait, peut-être que les troubadours revenaient, hourra !

Je pense que tout ceci aurait fait plaisir à l'oncle.

Au moment de partir, quand les discours furent terminés, la vieille Julia voulut chanter (certains disent que quand elle était jeune, elle était amoureuse de Vincent) cette chanson cévenole que j'aimais tant :

Quand un jour tu sentiras que l'âge réveille

De plus en plus en toi des souffrances diverses

Las de bêcher ce sol ingrat comme un désert

A l'appel du repos tu tendras l'oreille

Le temps aboutira ton corps devenu trop vieux

Et par dessus ta tombe

Et dominant la plaine

La pointe d'un cyprès

Laissera voir le ciel

Le temps aboutira

Ton corps devenu trop vieux

Alors on t'enterrera dans la terre en friches

Toute fleurie d'immortelles

à deux pas de ton mas

 

Où l'on entend si fort

Souffler la tramontane

Alors on t'enterrera dans la terre en friches

L'astre qui nous réchauffe et nous ensoleille

Sera ton compagnon

L'été comme l'hiver.....

Nous l'avons laissée terminer la chanson seule et nous sommes partis.

Nous sommes allés tous ensemble avec l'urne et j'ai fait ce que m'avait demandé Vincent : j'ai éparpillé les cendres dans le ruisseau de la Vire. Je ne sais pas si j'avais le droit ! Les gens étaient surpris mais disaient : C'est lui qui l'a voulu. Il est parti tranquille, sans souffrir : aller se coucher le soir, et sans se réveiller le matin, dormir pour l'éternité....Cocagne !

Puis nous sommes rentrés à la maison où Mathilde nous attendait avec l'apéritif. Elle avait une jolie robe grise. Tout le monde m'a demandé qui était cette fille si jolie : j'ai continué d'affirmer que c'était ma filleule, la fille d'une amie d'école, Lucienne. Mathilde ne disait rien, elle faisait simplement des sourires à tout le monde.

J'avais décidé que j'aurais une discussion avec elle dans la soirée.

-« Et que vas-tu faire maintenant que tu as de l'argent, Jeanne : la charité, la vie, l'artiste ? Tu as une jolie voix ! Il te faudrait essayer d'aller au conservatoire de Montpellier. On ne sait jamais.... Il n'y a pas d'âge pour chanter et surtout pour se faire plaisir. » •

Celui qui me disait tout ça était René - mon amoureux! - dont, pécaire, la femme, Rosette était morte l'an passé et qui c'était sûr aurait bien aimé trouver une compagne de son âge, surtout avec un peu d'argent. Souvenir! souvenir : peut-être qu'il me plaisait quand j'étais jeune mais aujourd'hui...

 

Le cousin Paul et Denise, sa femme, étaient très contents de l'accord que nous avions conclu chez le notaire :

- « Merci Jeanne pour le loyer si bas : avec les problèmes de la viticulture peut-être qu'il me faudra tout arracher et faire un potager. Denise ira vendre sur le marché. » • «

Sûr que ça me plaira plus que de travailler au supermarché ! ».

« On essayera le bio, aujourd'hui il n'y a que ça qui marche, et encore plus pour le vin... Et toi, que vas-tu faire de ton temps, des terres et de la maison de Vincent ? Il t'a laissé de l'argent ? «

"Oui ! Je ne peux rien te dire de plus aujourd'hui. Mais je te promets que si un jour je vends les terres, c’est toi qui seras le premier informé."

« Merci pour tout ! »

À 8 heures tout le monde était parti : le dernier à s'en aller était René. Il vint me faire une bise, il avait bu un coup et me dit sur le pas de la porte :

« Si un jour tu en as assez d'être seule, ça me ferait plaisir de vivre avec toi. Tu sais bien que je t'aime depuis toujours ! » «

 

Tais-toi grand imbécile ! Une fois ça suffit : c'est ce que j'ai toujours fait dans ma vie ! Adieu ! »

Je fermai la porte sur ce pauvre René. Nous avons fait le ménage et avons mangé un morceau.

« Et maintenant Mathilde, il est temps de parler. Si vous voulez rester avec moi, je dois savoir d'où vous venez et tout ce que vous avez fait dans votre vie. »

« Je ne sais pas si je peux : j'ai peur... » « Vous n'avez pas le choix, sinon demain il me faudra vous demander de partir. »

« Non ! Je veux rester ici. Je me sens si heureuse avec vous. C'est comme si j'étais avec une mère, vous comprenez... »

Voir l'épisode 5

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